16.5. La vieille cataracte.
Il s’était bien caché, mais je l’ai su. Le moine s’est planté
sur la terrasse de l’hôtel le plus littéraire d’Égypte, il le fallait bien pour
bavarder avec Héraklite, puis il a repris ses discours. L’Égypte l’a un peu
détourné de ses intentions initiales, mais n’est-ce pas le rôle millénaire de
l’Égypte, que le détournement devienne le droit chemin ?
Septante-septième jour
Mars 2004 – 5°) La vieille cataracte.
Devant mes yeux incrédules coule le Nil et se terrent les ruines des temples. Il fallait que ce fût dit. Elle est loin, ma chapelle, et c’est moi aujourd’hui qui donne la pièce au marchand du temple sous l’œil moqueur d’Horus. Pourtant, je ne suis pas loin de mon sujet et tous ces signes gravés sur les murs racontent la même histoire, cette histoire que je m’efforce de comprendre, l’histoire de la folie du sage qui avait peut-être découvert ce que nous devons découvrir et qui s’est muré dans un silence hautain.
Après avoir écrit son grand livre, il est monté en haut de la montagne et il a pris son air supérieur. Les hommes se sont vengés de lui et les vers ont mangé le livre, la bouse a étouffé le maître qui croyait l’être. Il n’a pas su affronter sa propre contrariété fondamentale, écrire et être lu. C’est pourtant lui qui l’avait inventée, la contrariété fondamentale.
Fondatrice.
Monsieur Héraklite, votre erreur est d’avoir laissé la victoire à l’un des camps. Vous qui, du doigt de la pensée, aviez touché l’absolue nécessité du combat sans merci et sans fin entre ennemis irréductibles pour qu’ils puissent simplement exister, au moment même où cette nécessité devenait nécessaire à votre pensée et à vous-même, vous avez laissé le champ libre dans votre tour d’ivoire et, prouvant ainsi combien vous aviez raison, vous avez disparu de l’histoire du monde.
Que puis-je faire pour vous maintenant, pauvre de moine Théolone, depuis mon palace provisoire ou ma chapelle définitive ?