19.6. Les Archétypes 2.
Le moine ne perd pas le rythme et les fiches arrivent en ce moment. Je le laisse à ses listes.
Le premier était venu seul avec son sac à dos et sa barbe de
trois jours, comme tout intello archétypique qui se respecte. Grassouillet et
rougeaud voici que débarque du bus climatisé le petit chef, ma deuxième prise.
Le petit chef est terrifié par son épouse dans ce monde là
on dit épouse, par l’arabe du coin, ce paresseux si commode quand on n’a plus
de fruit ou de yaourt à dix heure du soir ou six heures du matin le bon Pierre
Desproges nous l’avait bien expliqué, il est terrifié par le motocycliste qui
le dépasse engoncé dans son auto de petit chef, il est terrifié par les trois
encapuchonnés là au coin de la rue dans l’angle sombre de l’immeuble gris, il
est terrifié par Monsieur l’Agent qui verbalise le feu qu’il vient de passer à
l’orange que c’est même pas vrai et en plus je suis pressé. Le petit chef se
venge sur les deux secrétaires qu’il a sous ses ordres de 8h45 à 16h38 pour
cause de trente-cinq heures plus la pause déjeuner.
Un jour le petit chef sera licencié pour faute et le
syndicaliste de service devra prendre sa défense sous la réprobation générale,
mais s’il ne le fait pas qui le fera ? Le syndicaliste n’est pas celui qui
juge la faute professionnelle, mais celui qui défend le salarié, il ne joue pas
les justiciers, et il devra même être fier de lui s’il obtient qu’on oublie la
faute et que le licenciement soit amiable avec indemnité de départ.
On voit bien que tu n’as jamais été syndicaliste. Celui qui
est juste là au moment on il faut un défenseur pour le petit chef fautif. Tout
le monde s’est caché sous la table, les dénonciateurs sont restés
courageusement anonymes, ne laissant comme traces que leurs lettres envoyées au
DRH. Il n’en manquait pas, d’ennemis, le petit chef et ses airs de matadors,
ses manières odieuses avec les secrétaires muettes. Alors le syndicaliste
défend la cause impossible et les rumeurs de moquette le clouent au pilori une
fois le danger passé. Mais après que tout le monde aura vomi sur son travail de
syndicaliste et qu’il proposera qu’on prenne sa place parce qu’il ne demande
pas mieux, chacun retournera se cacher sous sa table.
Non, tu comprends, je ne veux pas me syndiquer, j’ai une
femme des enfants et surtout mais je ne l’avouerai jamais, j’ai ma carrière à
conduire, ma barque. D’ailleurs les syndicats c’est ringard, je n’écoute même
plus ce qu’ils racontent.
Ne me dis pas que tu n’écoutes plus, dis-moi plutôt que tu
ne les as jamais écoutés et je te croirai. Sinon tu aurais remarqué qu’ils ne
sont plus depuis des siècles ces syndicats arrogants et affiliés que tu as
connus et dont le souvenir te laisse un bon prétexte. Dis moi plutôt que tu te
crois plus malin à naviguer ta barque tout seul, et ma foi si tu ne fais jamais
naufrage tu auras eu raison. Le pire est que, en cas de naufrage et malgré tout
ce que tu lui as dit, devine qui va se remuer pour t’éviter la noyade ?
Tu ne les as jamais écoutés. Personne parmi vous ne les a
jamais écoutés. Je ne sais pas ce que je fais là, tout seul. Alors, chers
camarades, ne vous étonnez pas si je négocie mal : je fais avec ce que
j’ai, ou plutôt sans ce que je n’ai pas. Et quand j’obtiens une miette contre
toute logique, je signe. On est bien d’accord.
Voilà, deux archétypes en un, le syndicaliste et l’antisyndicaliste.
Sans parler du petit chef, mais il est à l’ANPE, ce qui m’en fait trois.
à suivre.