22.62 – Un minimum.
Puisqu’il se refuse à donner une définition au mot Liberté avec son aile majuscule, le Moine va peut-être clarifier ce qu’est la liberté pour la concurrence. Voyons la fiche. Peut-être…
J’ai besoin de la libre concurrence. J’ai besoin d’être libre
de partir vivre en Espagne ou en Grèce, libre de délaisser ma chapelle et mes
voisins, libre d’écrire le sujet qui me va, et en cela ceux qui se plaignent de
moi sont odieux qui se croient pourtant les champions de la liberté alors qu’il
n’en sont que les fossoyeurs, j’ai nommé ceux qui ricanent et se plaignent de lire
quand nul ne les y contraints, libre de ne plus écrire aussi. Enfin, libre d’écrire
ou de ne pas écrire, rien n’est moins sûr, mais au moins libre de mon sujet.
Concurrence ? Oui, celle de ces autres pays où vivre, de ces autres villes où loger, de ces autres créations à créer, de ces autres nourritures à goûter. La concurrence est libre en ce que chaque pays peut devant moi étaler ses charmes et ses sortilèges, la Sibérie Orientale ses espaces infinis, les îles Seychelles ses plages de carte postale, Andorre son hors taxe ou l’Utah ses cailloux. En ce que pour moi le choix ne sera pas vivre ou mourir, mais bien davantage. Que ce pays m’offre vivre et couvert et cet autre seulement la mort misérable, il n’y aura pas libre choix, il n’y a pas libre concurrence.
Exemple trop facile ? Mais non, exemple simple. Je me borne à cet exemple, choix du pays où échapper à l’escouade, à l’identité nationale, et sur mon île je sais bien que l’idée d’identité nationale ne peut être simple. Où le serait-elle, d’ailleurs, l’est-elle où que ce soit ? Est-ce seulement une idée ? Plutôt un chiffon rouge souillé, une mort qui rôde. Quel que soit l’exemple choisi, je ne peux perdre de vue les deux libertés essentielles sans lesquelles la concurrence ne saurait être libre, sans lesquelles elle est loi de la jungle : la liberté de proposer, la liberté de choisir.
Chacun doit pouvoir montrer ses qualités car tous en ont, du plus fringant de nos émoulus au plus piteux de nos va-nu-pieds. Chacun doit être reconnu pour la part qu’il peut apporter, si minime soit-elle, au groupe dont il est du seul fait de sa présence, du seul fait qu’il vit, ici et maintenant. Il n’y a liberté dans cette concurrence que nous nous faisons, elle et lui, toi et moi, vous là-bas et les autres ailleurs, que si la vie est assurée, si la base vitale est donnée par le groupe à tous, je dis bien tous, je dis bien donnée.
Ainsi la concurrence ne peut pas être un mode de survie. Juste de survie. Il n’y aurait plus de liberté si la mort était au bout du combat, plus de liberté ni pour le perdant à venir, ni pour l’éventuel gagnant. Ainsi la notion de concurrence ne peut nous faire sortir de la violence de la nature, gagne ou crève, que par la liberté que le groupe donne à l’homme qui en est. Les deux sont indissociables, et accoler les deux mots est la seule approche concevable pour une Société digne de ce nom, la haïssable Société des hommes sans laquelle ils n’existeraient pas, on l’a dit.
La liberté ne s’entend que si la survie est assurée, la survie de chacun à l’intérieur du Groupe, Groupe qui lui-même ne survivra que s’il garantit à chacun sa survie. Alors à l’intérieur du Groupe la concurrence pourra librement s’épanouir, qui lui permettra à son tour d’entrer en concurrence avec les Groupes voisins, avec les autres Sociétés, et avec les autres Civilisations, non pour s’entrechoquer, mais pour se confronter jusqu’à réussir à échanger entre elles ce qui leur permettra à chacune d’être, tout simplement.
Il ne nous restera plus qu’à polémiquer sans fin, à nous étriper l’esprit, à nous fâcher tout rouge, pour savoir où finit la survie et où commence la vie, quel est le minimum en deçà duquel la liberté disparaît ; quel est le seuil du tolérable, du vivable, de l’utile, de l’usuel, de souhaitable, du confortable ; à quel moment les économies comptables qui font joli sur le papier du chef de service perdent leurs couleurs, ou plutôt deviennent rouge sang. Et à partir d’où le superflu devient nuisible à soi, au voisin, à tous, à la planète.
Je n’en ai pas fini, de la concurrence.