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LES ANACHRONIQUES
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23 mai 2010

23.5 - Histoire d’œil #1: les fragments.

Hormis la tonsure des sommets, nul n’y échappe ici, la chaîne des montagnes du milieu est couverte de forêts, entourée plutôt, cernée. Maquisarde au sud, rabougrie à l’est, sombre et sauvage au nord, ample à l’ouest. Chênes nains et pins d’Alep, eucalyptus et caroubiers. Et partout cèdres en futaies vertigineuses et odorantes. Il marche à travers les forêts de son île. Et il n’en croit pas ses yeux.


Cent-trente-troisième jour.


1. Les fragments.


Lorsque je marche à travers la forêt de cèdres, sur le flanc ouest de ma montagne, je devine le ciel découpé en mille fragments par les branches entremêlées. Bleu la plupart du temps, il se présente à moi en écailles formant voûte. Voûte fragile qui ne demande qu’à s’effondrer sitôt que j’en retirerai une seule pièce. On sait qu’une voûte tient par chacune de ses pierres, qu’une seule soit retirée plus rien ne tient, la clé de voûte qui fait sa prétentieuse se croyant seule indispensable ne l’est ni plus ni moins que ses sœurs moins saillantes, moins sculptées, moins centrales.

Ainsi mon puzzle d’azur me semble tenir par miracle, qu’un arbre soit abattu et le ciel me tombe sur la tête. J’écoute le vent frémir et je guette les rafales, je surveille les grands bras agités ; tout n’est qu’apparences et je vois ce que je vois : les morceaux de ciel, la découpe des arbres, le mouvement des branches, viennent à travers pupille, bulles vitreuses, rétine, macula, nerf, me frapper le cerveau. Le voici qui de ces impulsions chimiques construit un réel, et qui s’inquiète de l’idée de l’effondrement du ciel.

Je ne te parle même pas des mouches et des filaments qui dansent nuits et jours sur le chemin de la lumière et qui lentement s’épaississent, des dégénérescences glauques.

J’entends déjà le concert des protestations. Il ne faut pas avoir peur, disent-elles, les arbres ne découpent pas le ciel, les lourds fragments prêts à choir ne sont qu’une sorte de bleu, provenant de la diffraction de la lumière du soleil sur les particules de l’atmosphère. Enfin voyons, tu sais tout cela.

Merci du renseignement.

Est-ce que je sais tout cela ? Pourquoi dois-je me souvenir du phénomène de diffraction ? Pourquoi l’ai-je seulement appris ? L’ai-je vraiment vérifié, qu’ai-je oublié de faire pour en être sûr, ou qu’ai-je fait que j’ai oublié aujourd’hui ? Je lève la tête et je vois les fragments, et sentant le vent qui se lève j’ai hâte de retrouver ma chapelle. Quelque chose existait avant que je marche dans cette forêt, avant que j’y pense, avant que je la fasse exister en la voyant : voilà ce que me chuchote l’évidence, cette chose était là et tu l’as ressentie en la passant sous le sens, sous tes sens. On pourrait la nommer forêt, par exemple.

.à suivre
.

Commentaires
M
Me reviennent en mémoire ces vers de Beaudelaire<br /> "La Nature est un temple où de vivants piliers<br /> Laissent parfois sortir de confuses paroles :<br /> L’Homme y passe à travers des forêts de symboles<br /> Qui l’observent avec des regards familiers."
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A
Bonjour monsieur l'Ours.<br /> <br /> tes venues dans mes parages sont rares. Elles sont précieuses. Mon moine préféré appréciera, lui qui se sent délaissé; il est vrai que je suis bien lent à transmettre ses fiches et que je devrais être un peu plus attentif aux bouteilles qu'il m'envoie, plutôt que de butiner ici et là sur les bloguézamis.<br /> <br /> Il peine à se frayer un chemin dans ses idées, à en extraire quelques logique et quelque cohérence, et surtout à les faire partager. Je le sens déboussolé par l'urgence à laquelle il devrait répondre, lui qui ne connaît que lenteur et besogne.<br /> <br /> Ainsi la découpe du ciel. Voilà que tu mets ta phore dans les siennes, et que tu appelles à la rescousse ce bon vieux Vercingétorix. J'ai reçu ces derniers temps quelques nouvelles marches à monter, qui permettront de poursuivre son ascension et qui te permettront de le suivre sur le chemin caillouteux. Il est vrai que ton objection se tient et que les arbres soutiennent le ciel, c'est une évidence.<br /> <br /> Une évidence, justement.<br /> <br /> L'idée est jolie et au lieu de puzzle, la forêt serait devenu colonnade, péristyle, académie, un lieu philosophique, au fond.<br /> <br /> Va pour le lieu philosophique, Moukmouk, c'est bien ainsi qu'il se sent dans sa forêt, le moine, avant que ne tombe la nuit, avant de rentrer à la chapelle, dans l'autre vallée. Et puisse ton cerveau disponible prendre plaisir à fréquenter ses élucubrations. Pour être définitivement franc, il a besoin de ton regard, le moine, qu'il sait aussi critique que bienveillant.<br /> <br /> Ne crois pas que je dise moine pour éviter de dire moi. Bien sûr que la ficelle est grosse. Mais elle d'autant plus grosse qu'elle m'est nécessaire, afin de continuer à gravir la montagne sans ressentir de fatigue, puisque je m'obstine à imaginer que c'est un autre qui le fait.<br /> <br /> Bien à toi, Canadien de Paris, Gaspésien d'île de France, et indigène du Mont Royal.
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M
Les arbres ne découpent pas le ciel. Les arbres le supportent, il ne faut pas les couper, sinon le ciel nous tombera sur la tête. Les gaulois avaient raison... Notre monde en est la preuve, le ciel de plus en plus nous étouffe.
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LES ANACHRONIQUES
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Mon nom est THEOLONE - Philosophie et bavardage
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