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LES ANACHRONIQUES
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25 octobre 2010

23.10 - Brûler Diderot ? #2

C’est vrai quoi à la fin. Si chacun de nous n’est plus que de la brique de son coin, alors tout devient acceptable, tout devient culture, tout devient légitime. De quel droit un occidental pourrait s’insurger contre des pratiques d’autres lieux dont il ne connait rien des soubassements quand il y aurait passé vingt ans de sa vie à observer, chez les indiens d’Amazonie ou les Papous dans la tête ? Du droit du colon ? Du droit de la culture avec un Q majuscule ? Du droit de l’homme, invention bourgeoise du siècle de la lumière capitaliste ? Oui, le dérapage arrive à grand pas et bientôt je vais, pour me montrer plus progressiste que le roi, vous dire que notre philosophie ne vaut pas plus cher que celle des pays d’Orient et du Sud réunis, peut-être moins cher puisqu’elle a, sous prétexte d’universalisme, tout balayé de son colonialisme ambulant.

Il faut que je m’éloigne, quelque chose me murmure que ce n’est pas tout à fait l’avis du moine.


Cent-trente-huitième jour #2 - Petit bout de chair.


Pas si vite. Je vais me contenter d’un exemple facile. L’excision est une pratique barbare et inadmissible. Aucune tradition que ce soit ne la justifie à mes yeux. J’entends bien les cris d’orfraie : qui es-tu pour nous juger ? Tu n’es pas né dans le désert, dans un monde précaire où tout est organisé pour la survie, où la moindre goutte d’eau est plus précieuse que tous tes litres d’essence, où l’ombre est un bien plus recherché qu’une place au soleil, et depuis des millénaires tout s’est mis en place pour cela, qui es-tu pour piétiner notre art ? Au nom de ta culture arrogante et conquérante, au nom de ta supériorité d’homme civilisé, d’homme blanc, de chrétien, de croisé ?

J’en rajoute un peu dans l’invective, on ne mélangera peut-être pas tout, du moins pas tout d’un coup. Mais chacun y mettra un peu de ces épices et le bouillon final sera bien comme je dis. Evidemment, j’entendrai tous ces reproches dont aucun ne me convaincra. La souffrance d’une fillette et de la femme qu’elle deviendra, la presque femme désormais mutilée n’a de justification nulle part dans le désert, ni la sécheresse, ni la famine, ni la chaleur.

Quelque chose est commun à cette fillette et à moi, elle qui venait de découvrir la douceur de la caresse qu’elle se donnait là, avant l’arrachement, moi qui ai profité depuis longtemps des effets de cette douceur sur la dame que j’aime. Quelque chose qui dépasse sa culture et ma civilisation, quelque chose qui a perdu son Albert et sa relativité, voici le mot qui me manquait : quelque chose d’absolu : notre animalité. Et si les droits de l’homme étaient en réalité les droits de l’animal humain, d’abord ? Bonne question, je me remercie de me l’être posée, laisse-moi respirer un instant.

Pas si vite, ai-je dit. Une fois encore, l’évidence est mauvaise conseillère. Que les occidentaux blancs aient pratiqué le colonialisme ne détruit pas tout ce qu’ils ont pensé depuis que des blancs se sont installés au bord de l’Asie Mineure, regardant les îles proches en clignant des yeux pour se protéger du couchant. Même si le colonialisme invasif s’est fait au nom de toutes ces philosophies, sont-elles fautives pour autant au point de devoir être à jamais méprisées, vilipendées, oubliées, détruites. Beaucoup seraient trop heureux de les voir disparaître, ces philosophies qui mettent des bâtons dans leurs roues, élites corrompues, religieux de pouvoir, présidents à vie et à mort. Quelles que soient leurs couleurs, leurs origines, leurs prétextes, ces philosophies les dérangent, et ne serait-ce que pour cette raison, je me refuse à entériner leur mise à l’écart sous prétexte qu’elles ne sauraient être universelles, sous prétexte de climat.

Je ne vais pas ici proclamer mon accord avec toutes, il en est qui ne me plaisent pas. Sommes nous aussi simples, nous autres occidentaux, que vous avez l’air de feindre de croire ? Probablement pas davantage que vous autres, du Sud africain, des altiplanos d’Amérique indienne, des marigots de l’enfer vert, de l’orient asiatique, comment dit-on déjà, orient mystérieux. Ni plus ni moins mystérieux que l’occident, sachez-le. Que l’un domine, ou croit dominer, ou cherche encore à dominer, n’invalide pas sa pensée ni la pensée de tous ceux qui ont habité son climat et dont la parole est encore forte à nos oreilles, que l’autre soit opprimé ou se prétende tel pour se justifier et se blanchir ne rend pas son discours infaillible. Ecartons ces facilités, cette évidence, et penchons nous sur ma question.

Il est un domaine qui nous échappe.

à suivre.

Commentaires
A
cher Theolone ,j'apprecie que tu nous donnes à lire ta pensée qui se cherche par "essais", (il y eu un illustre prédécesseur,un peu intimidant certes mais trés inspirant...)
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