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LES ANACHRONIQUES
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5 août 2016

103 - CHAPITRE PREMIER . PLAYED TWICE


Premier jour. 21 avril 1999.

Je m’appelle Théolone et je suis moine. Je vis dans la montagne, modeste montagne, quelques hauteurs qui me donnent l’illusion vite dissipée de dominer un peu. De ma fenêtre, j’aperçois la plaine où court la séparation, et la capitale au loin qui poudroie. Poussière, poussière, dois-je vraiment devenir un jour cette brume impalpable qui recouvre meubles et immeubles, folie et sagesse, ceux d’ici et ceux d’en face, ainsi qu’il est écrit ? Et que recouvrir alors, ou plutôt qui ? Quelque nymphe émue ?

Un matin, je me souviens que c’était un matin, j’avais très mal dormi et la soirée de la veille m’avait laissé je ne sais plus pourquoi un goût de sel, j’ai décidé de me taire. Il y a longtemps de cela maintenant, bien avant que je vienne habiter ici dans mon refuge confortable et peint. Soudain, il me fallait le silence et ce matin-là je m’en suis emparé.

J’avais essayé auparavant ; des silences, j’en avais placé ici et là, parfois dans l’indifférence et parfois à la surprise générale, il y en eut même d’historiques à ce qu’on m’a dit. Mais ils ne m’appartenaient pas, ils m’échappaient les uns après les autres, on me les confisquait. Je n’étais jamais le maître de mes silences.

Alors il a fallu dépasser les bornes, cesser de résonner dans le vide, plonger dans le silence du cosmos qui m’habitait. Fini, infini, sphérique ou non, avec ou sans les alvéoles feutrées des anciens, je ne saurais te le dire, peu importe sa forme et sa texture, du moment que j’en devenais seul et définitif dépositaire, gardien de l’éternité. Il me fallait retrouver l’archaïsme.

Les alvéoles feutrées. Nos anciens ont une drôle de dégaine maintenant qu’on les a traduits avec nos pauvres mots, eux qui tentaient de saisir l’insaisissable. On a fait de leur angoisse cosmique des approximations comiques, et nos pédants traducteurs les ont ridiculisés. Alvéoles feutrées, air substratum, âme humide et raisin sec. Par la sandale d’Empédocle, quel jargon, quel embrouillamini, quel marécage, ces traductions rampantes de ceux-là qui volaient si haut.

J’ai autrefois déchaîné des vacarmes et des tonnerres, et j’ai su échapper à leurs poisons. Aujourd’hui enfin j’entends : le cri des hirondelles qui nichent ici huit mois par an puis repartent faire le printemps dans le Nord, le bruissement des cerisiers, la rumeur de la nationale qui serpente vers la plaine et, d’année en année, la folie des gens dont la seule pensée audible est le tir à balles réelles le long de la ligne.

Entendre. Surtout ne pas écouter. Entendre le monde.

Le bruit du monde est une langue étrangère qu’on n’a pas apprise. Des sons chuintants ou rauques, des accents et des gargouillis, voilà la vie des hommes dont je suis, voilà ce qui m’en parvient en haut de mon perchoir. Lentement je désapprends le langage, encore un petit effort et je finirai par l’atteindre aussi, le stade du gargouillis. Ne pas croire qu’un énoncé soit vrai parce qu’il est clair, ne pas tomber dans ce piège, prendre garde à l’aphorisme évident, au slogan impératif, au résumé lumineux. Ne pas croire que le faux se cache mieux dans le compliqué que dans le simple ; il devient invisible d’être trop voyant alors qu’au milieu des entortillements se cache sans cesse le grain à moudre.

Que vais-je alors pouvoir t’écrire, dans ce silence ?

Commentaires
E
etc...
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E
bonjour,<br /> <br /> la dernière fois que je suis venue ici, c'était il y a 4 mois et une heure exactement. Et je passais aujourd'hui par hasard. Contente de vous relire.
Répondre
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