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LES ANACHRONIQUES
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29 avril 2020

325 - Cinquante-cinquième jour . Cet homme est médecin

1.

Cet homme est médecin. Je ne connais pas le détail du cursus qui l’a conduit à ce titre prestigieux, je sais qu’il faut des années de patience et d’études. Il faut vaincre la rude concurrence des amphithéâtres surchargés, surnager au dessus de la multitude des ambitions au prix d’un effort colossal, résister à l’horreur des dépeçages en public, se coucher tard se lever tôt, écrire des notes d’une écriture de plus en plus fébrile qui plus tard fera des ordonnances illisibles.

Il est devenu interne vieilli de quelques années et usé de quelques batailles. Je le suppose, mais pour que chacun le dise médecin il a bien dû être interne. On ne va pas le soupçonner d’avoir sauté la case interne. Pour un salaire de misère, il a passé des nuits à veiller des malades, à attendre dans son couloir verdâtre écaillé qu’ils appellent au secours, pour les soulager souvent pour les sauver peut-être, car il faut bien glorifier le personnage et que tel est l’interne des urgences.

La chance aidant, des rencontres favorables ont dû lui permettre de gravir les échelons sinon du savoir du moins de la hiérarchie, ici aussi il y en a une, et le voici médecin inscrit sur les tablettes parmi les grands médecins. Parfois il cause dans le poste, il parle à la télé, il écrit dans le journal, il lui arrive même encore de soigner des gens quand il a un créneau. On l’appelle professeur. Il parcourt les kilomètres de couloir verdâtre écaillé entouré d’une cohorte révérencieuse. Il fait des miracles, dit la rumeur. Il serait plutôt pédiatre. Qu’importe, il aurait pu aussi bien être gérontologue. Qu’importe le domaine tant qu’il y a légende.

On m’a dit qu’il entre dans la chambre du malade, du patient car il faut l’être quand on est malade, qu’il jette un œil sur l’écran qui défile et sur la feuille au pied du lit, qu’il fait un savant discours pour expliquer haut et fort pourquoi ce malade ne passera pas la semaine, et qu’il sort pour aller voir le 112, à moins que ce soit le 427 ou le 888. Les numéros de chambre sont très utiles dans l’organisation d’un hôpital, le nom des malades impatients est une perte de temps. Comme un seul homme, la cohorte studieuse replie ses notes fébriles de plus en plus illisibles. Pour prouver qu’on est grand médecin, il faut écrire en illisible. Tout a été dit en trois minutes, sauf un bonjour et un au revoir au malade qui n’est pas sourd, restés au fond de l’oubli du grand homme.

Il n’est pas seul ainsi, et je crois ce qu’on m’a dit car j’ai vu ses semblables.

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