399 - CHAPITRE VINGT-et-UNIEME . Ophtalmologie

Prologue.

Comment le dire ? Un drôle de titre. On dirait une chanson de Charlie Parker. Ornithology, Anthropology, quelque chose qui y ressemble. Ophtalmologie : sur quoi va-t-il écrire ses fiches, Théolone ? Ses yeux fatigués ont-ils à ce point besoin de philosophie, de discours, de logos ? La dégénérescence maculaire liée à l’âge le travaille peut-être, ou bien un glaucome s’annonce déjà, ou bien encore une m.e.r., non, pas celle à quoi l’on pense mais une Membrane Epi-Rétinienne comme disent les savants, bref toutes ces choses qui vous brouillent la vue et la vie. Mais de là à en faire un chapitre entier, je m’étonne. Il n’y aurait pas ce pacte entre nous, je le laisserais bien choir avec ses élucubrations.

Théolone exige que je cesse de traîner sur les réseaux, à me promener dans les allées verdoyantes d’amitiés virtuelles, à croiser les mères de famille débordées, les vidéastes fébriles, les influenceurs écervelés, à commenter sur des veuves et chez des avocats et parfois ce sont les mêmes ; il m’impose sa loi. Il n’a pas tort. Dans le monde électrique, les repères s’émoussent, la pensée se raréfie, et surtout le temps se perd. Et dans quel but au fond, sinon de faire des yeux ronds ? Ophtalmology, premiers accords, premiers raccords, premiers désaccords…

Je comprends un peu mieux. L’état pitoyable des dernières livraisons montre qu’elles ont longtemps séjourné dans l’eau de la Mer du Milieu. Il a écrit à vau-l’eau, je ne peux faire la moindre pile ordonnée et je dois diffuser au jour le jour des accostages. Je risque le délit d’anachronisme, la faute de concordance des temps, le péché d’incohérence.

Est-ce si grave ? Une vérité ne pourrait-elle surgir des sauts de la pendule ?

La vérité du Moine, s’entend. Une parmi tant d’autres et pourtant je vois bien que son ambition est immense : transformer un débat englué et perdu en une idée de gouvernance, une modalité sociale, une proposition politique, qui pourront rendre un jour la Société vivable ou du moins apaisée. Ce serait la moindre des choses qu’elle le soit, puisqu’elle nous est nécessaire.

Alors j’ai un peu travaillé. J’ai regroupé tous ces vieux papiers chiffonnés dans un semblant de suite logique, sans m’inquiéter de l’ancienneté, en ajoutant des commentaires de mon invention, rompant le contrat. Et le monde dépassé sinon oublié qui en ressort se révèle pour ce qu’il est : intemporel, anachronique et parfaitement à jour. Tu es prévenu.

Quant au Moine, je l’attends de pied ferme.