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LES ANACHRONIQUES
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7 février 2024

396 - Cent-unième jour . La mouche du coche

J’ai longtemps cru qu’en farsi Mouche se disait Magass. J’aurais pu imaginer une autre langue exotique, mais depuis Montesquieu c’est en Perse que l’on trouve l’observateur extérieur. Je ne peux faire moins que le chercher aussi en Perse. En outre, c’est en Perse que cette mésaventure m’est arrivée que je m’en vais conter bien qu’il m’en coûte.

Voulant aller à travers les terres arides de Persépolis à Nacht-é-Rostam, j’ai cru malin de louer un cheval et son palefrenier. Quelle idée bizarre, moi qui ne suis pas du tout cavalier ! Les pressions amicales, le besoin irréfléchi de faire comme tout le monde, le côté insolite, la facilité apparente ; je me disais que le palefrenier tiendrait le cheval et qu’il me suffirait de bien me cramponner. Il faut le reconnaître, les arguments ne manquaient pas et je pouvais ainsi éviter une longue marche avec tout mon barda de photographe argentique grand format.

Ce fut un enfer comme n’importe qui de sensé l’aurait prévu. Une partie du trajet longeait la grand-route où passaient d’énormes camions, et à chaque fois le cheval faisait un bond. La selle était mal fixée et tournait. Et le palefrenier rigolait de l’occidental piteux, poussiéreux et terrorisé, sans s’occuper un instant du cheval qui, je le crois, rigolait aussi. A quoi bon faire le moine dans ces conditions.

J’ai plusieurs fois demandé que l’on s’éloignât de la route pour partir à travers champs ; je les voyais, tous ces chemins que nous aurions pu prendre ; l’homme n’en faisait rien, pour lui c’étaient les mouches qui faisaient sauter le cheval, et il disait sans cesse Magass, Magass. Peu en état de réfléchir, j’en ai déduit que Mouche en persan se disait Magass, ce qui reste possible sans que j’en sois certain, mais le mot correspondait si bien à la situation que j’ai envie qu’il en soit ainsi ; mon palefrenier persan savait très bien ce qu’il disait en le disant.

Voilà pourquoi j’ai cru qu’en farsi Mouche se prononce Magass. Et le mot m’a paru assez plaisant pour que je le retienne sans vérifier. Il faut bien finir par croire à quelque chose, ce qui me ramène à ma ritournelle, il ne faut pas croire que je l’avais oubliée et mon histoire n’est pas du tout hors sujet. Il est encore et toujours question de parole sans preuve, de paroles à croire sur parole : c’est bien la question du coche qui va avec Magass et qui finit par m’agacer. Ne me demandez pas comme on l’écrit pour de vrai sur du papier avec de l’encre ou en calligraphie savante, mais mes oreilles en ont bien entendu la prononciation, assez entendue ce soir-là où le cheval que je chevauchais a fini par se délester de son chargement sous prétexte de ruades à mouches, pour m’en souvenir autant que mon coccyx.

Magass, Magass, disait le palefrenier persan en rigolant de mon costume empoussiéré, et plus encore de ma mine de croisé défait.

Pourquoi cette histoire ? Je l’ai écrit. Parce que la question revient sans cesse, comme ces mouches sur mon cheval, cette question que je me pose sitôt que j’ouvre Le Livre, car il m’arrive de l’ouvrir. Et je n’ai pas besoin de l’ouvrir, ses histoires me traversent en souvenir de cette éducation stricte et traditionnelle qui m’a fait suivre l’inévitable cursus catéchumène, de serment solennel en promesses arrachées, de genoux ployés en cantiques déployés. Ainsi moine suis-je devenu, sans que le bourdonnement de la question n’ait cessé de rôder et d’éroder, comme une abeille. Quelle question ? Souviens-toi, je l’ai dit.

Il n’y a plus d’abeille, la question devient mouche. Depuis je relis le Grand Livre et je tente d’en extraire le jus, le lait et le miel, le sucre doré et le caramel mou. Je suis le Moine Théolone, le mécréant de ces dames, le silencieux de la fausse note si juste pourtant. Mes saintes Barbara, priez pour moi, sainte mère et sainte fille, je ne suis pas sorti de mon auberge et je travaille mes chapeaux. Il faut répéter la question.

On dit que le Grand Livre a été écrit par Dieu, mais qui le dit, qui est ce ‘on’ ? Des hommes qui disent avoir vu Dieu écrire. Moi je l’ai vu au cinéma et le grand manitou se nommait Cecil-Bé-De-Mille. Avec un chauve dans le rôle de Môzeuze. C’était du cinoche, ce n’était pas une preuve de l’existence de Dieu, à la rigueur une preuve de l’existence du cinémascope. Je me méfie des preuves hollywoodiennes. Ma mémoire me joue des tours, le chauve n’était pas Môzeuze, le chauve était Pharaon. Le prophète était chevelu avec tablettes de chocolat, il ne faut pas être chauve pour la nuit monter sur le mont.

Il va bien falloir les croire sur parole, ces hommes d'autrefois qui ont écrit Le Livre, parce que moi comme tout le monde, je n’ai rien vu. Ils peuvent se pavaner en disant qu’ils croient et qu’il faut les croire, eux ils ont vu c’est ce qu’ils disent. Heureux qui n’a point vu et qui a cru ; mais alors, où sont leur mérite et leur gloire, à eux ? Personne ne pourra jamais prétendre qu’il a une preuve par laquelle il croit, et quand il l’aurait je resterais obligé de le croire sur parole parce que moi, je ne dispose pas de cette preuve.

Telle est la question.

C’est finalement très simple et là réside le cœur absolu de la foi. Je n’ai pas besoin de preuve pour croire, croire sans preuve sans même songer à en chercher une. Pareillement, et que personne ne juge ni ne condamne sinon où serait la véritable foi, je n’ai pas besoin de preuve pour ne pas croire, pour la seule raison qu’on ne peut jamais prouver que ce qui n’existe pas n’existe pas, qu’on ne peut jamais prouver que ce qui n’est pas sensible n’existe pas. J’entends ‘sensible’ au sens d’accessible aux sens, y compris par le truchement des appareils les plus savants.

Le Grand Livre que je décortique n’est pas l’instrument de la foi, il en est seulement un objet. L’origine de la foi ne doit pas être recherchée au sommet du mont Ararat ou du mont Sinaï, dans la plaine du Jourdain ou sur le chemin de Damas ; l’origine de ta foi est à chercher au fond de ton antre, de ta cave, de ton tombeau, au fond de toi si tu crois. Si tu ne crois pas tu es libre.

Chacun mettra son fond où il voudra, là où il verra que cela est bon.

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