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LES ANACHRONIQUES
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9 mai 2024

401 - Cent-quatrième jour . Binaire

Je vais écrire sur la politique. La politique de maintenant. Bien des années sont passées et je ne vais pas tenter ici de changer un résultat acquis depuis belle lurette. Le référendum sur un nouveau traité européen, lancé en France en 2005, est à lui seul un exemple navrant d’anomalie pourtant parée de tous les avantages apparents d’un débat démocratique. Alors, pour comprendre dans quel monde je vis, vers quel monde nous dérivons encore aujourd’hui, longtemps après, je vais me pencher sur mes souvenirs d’alors et me replonger dans ce tourbillon.

Quelle déchéance ! Je voulais planer dans les hautes sphères de la pensée éternelle et je trempe les mains dans un cambouis éphémère, évaporé, comme si le cambouis pouvait s’évaporer. Mais il y a dans ce moment d’alors quelque chose de maintenant, quelque chose d’exemplaire qu’il faut sauver du danger d’un oubli définitif.

Je reste orgueilleusement modeste : je ne vais pas agiter de grands universaux nobles et confondants du genre Montesquieu Machiavel ou Clausewitz, je ne suis pas de taille ; je vais brandir le mauvais bout de ma lorgnette, observer le débat du jour ou de la veille avec slogan définitif et coupage de bec en tous genres. Ma robe est sale déjà, qu’importe si je l’empoussière dans l’arène à m’y rouler seul, car au fond je sais bien que tu liras tout ceci trop tard. Une fois ma page écrite, je jetterai ma bouteille à la mer à marée montante et à contre-courant pour être sûr de tomber dans l’anachronisme nécessaire. Alors voici un repère : nous sommes bien en avril 2005, un référendum doit avoir lieu le mois prochain auquel je donne une importance capitale, historique, et quels autres mots pompeux devrais-je aligner ? Choix binaire : OUI ou NON.

Je ne sais pas ce qui va sortir des proclamations de tes batteurs d’estrade, ni les appâts qu’ils te tendront pour te conduire à leur bon côté du choix binaire, mais je crains le pire ; le temps d’écrire ce chapitre, sans songer seulement à la vitesses des courants, le pire sera arrivé, l’alliance monstrueuse aura eu lieu entre l’égoïsme et la peur, entre la fermeture et le refus, entre la fuite en arrière et le rempart d’argile. Entre ceux qui préfèrent respirer leur air vicié de peur de l’air pur mais glacé du dehors, et ceux qui préfèrent le chaud de l’immobilité à la chaleur de la course éperdue, de la fuite en avant. L’alliance des nationalismes de tous bords.

Je devrais écrire une sorte de journal de l’inéluctable défaite, je devrais tenter d’aligner jour après jour comme on enfile les perles, les énormités qu’ils profèrent et que je profère, pour ainsi espérer les exorciser en me faisant mentir. Je me demande quelle mouche me pique, de me mêler d’un quotidien grotesque qui sera oublié depuis longtemps quand tu liras. Je suis face à une sorte d’impossibilité : me résoudre à un choix binaire qui met dans mon camp des adversaires et des idées qui me rebutent, et dans l’autre camp des amis et des philosophies qui me conviennent. Et réciproquement. A cause de ce réciproquement, je resterai dans ce camp-ci parce que s’y trouve le champ de bataille qui un jour peut-être, dans dix ans ou dans mille ans, validera ce que je pense. OUI, avec tous ses défauts, Europe est préférable.

On ne peut pas faire une révolution avec soixante-dix millions de citoyens seuls dans leur frontière bénie. Avec cinq-cents millions, on le peut. Et toutes les arguties dont se réclament ceux du camp du NON n’y pourront rien, il faut d’abord que les cinq-cents millions soient ensemble. Alors j’ai fait mon choix puisqu’on ne me l’a pas laissé, que je peux répéter pour les distraits : je suis du camp du OUI, et dans ce camp j’ai des amis et des ennemis irréductibles, quand les gens d’en face ont décidé que ce sera NON, et ils comptent quelques-uns de mes amis et beaucoup d’ennemis irréductibles.

Faut-il répéter jusqu’à la nausée ? Il le faut : je me demande quelle mouche me pique, de me mêler d’un quotidien grotesque qui sera oublié depuis longtemps quand tu liras. Je rêve, je rêve que cet oubli m’aura fait mentir et que nous allons tous décider que nous serons désormais cinq-cents millions à vivre ensemble, avec nos différences et nos hostilités, nos conflits et nos incompréhensions, enfin toutes ces choses qui font que nous nous ressemblons tant.

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Mon nom est THEOLONE - Philosophie et bavardage
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