19.9. La mort dans l’âme.

10 juillet 2007

Nonante-septième jour.

Il y a très longtemps, dans la plus noire des nuits, le moine avait réussi à me convaincre, sans me connaître alors, que la plus noire des nuits n’était jamais si noire qu’il faille aller se coucher et dormir. Il se fait vieux aujourd’hui, ce soir en particulier, et je vois bien que je ne peux rien pour lui, je ne peux lui rendre ce qu’il m’a donné, l’idée de ne jamais laisser croire qu’on est vaincu, surtout pas au vainqueur, l’idée que la mort est la seule qui comprenne lorsque tu baisses les bras.

Peu m’importe qui va comprendre et qui ne va pas comprendre. Est-ce que tu te rends compte au moins des acrobaties que je tente ? Il me faut à toute force trouver un solitaire inoffensif, qui sans être vraiment utile pourrait au moins ne pas être nuisible. Est-il bien sûr que j’y sois parvenu ? Je t’ai proposé la taupe des Pyrénées, c’est le nom que je lui donne, elle mange les liserons et les orties par la racine.

Personne d’autre ne répond à l’appel. Les seuls grands solitaires crédibles sont les fauves, l’aigle doré et le requin des plages. Ils sont rois, empereurs. Et parfois un zom croit être l’un d’entre eux. Il est khalife, il écrase le peuple vermine qui l’applaudit sous ses airs supérieurs ou compatissants, supérieurs et compatissants. Et s’il n’est pas Khalife, il écrase ses voisins courbés et il finira Khalife à la place du Khalife. Finir est le mot.

Car sans la foule qu’il méprise sous ses airs flatteurs et qui l’a conduit où il est, il ne serait rien qu’un zom tout nu dans la jungle. Un jour, la foule harassée le verra nu ce qu’il est, et il tombera de son piédestal rehaussé, tôt ou tard, après des hécatombes monstrueuses et dérisoires.

Vain est le solitaire qui se vante. Il est aussi nu et aussi ver que le khalife et que le plus pouilleux de nos clochards, que le plus faible de nos rejetons. Tous finiront dans la honte, et plus ils se seront vantés, plus ils auront méprisé, plus les vers seront ostensibles qui les découperont comme feuilles de salade. Qu’allons nous faire de celui qui se ne vante pas, qui se tait, et qui mène sans déranger personne sa vie de taupe des Pyrénées ? Modestie exacerbée ou orgueil absolu ? Ne pas se flatter ; ne jamais se plaindre ne jamais expliquer ; s’affranchir de la compagnie de ses semblables ; revendiquer son individu comme but ultime et intime, nul ne sait, nul ne saura, source pure de soi, sens unique de soi, la vie de soi, rien d’autre.

Est-ce maladie, névrose, est-ce choix vraiment, est-ce pose ostentatoire, ce mot est à la mode ? Qu’importe la cause, revendication, vantardise, ou simple constat, que ce soit faute de soin ou faute de réflexion, il a bel et bien désir d’être ainsi, le dernier des Mohicans dans sa délectation morose et sa certitude de vérité. Le premier des fous.

Quel que soit le diagnostic que l’on va faire sur le cas, qu’il soit médical, psychique, compatissant ou complaisant, sévère ou indulgent, la seule certitude du dernier des Mohicans est celle-ci : le refus de la zomitude, le refus de sa propre zomitude, tout simplement le refus d’être.

Diogène, tu peux agiter ta lanterne et profiter du désarroi du jour en prenant un air furibard, tu n’as jamais réussi à trouver l’homme que tu cherchais parce que tu l’avais sous le nez mais que tu ne l’as pas reconnu ; tu le croyais à ton image alors que ton image le récusait. Tu te prenais pour Dieu en vérité, et tu n’as pas su voir que le pauvre hère qui se démenait pour vivre parmi ses semblables et vivre avec eux était plus zom que toi, l’inhumain.

Tu ne reviendras plus m’agacer désormais. J’ai d’autres chats à fouetter, et il faut que je m’occupe de ma chapelle.

Fiches datées d’octobre 2004. Recopiées le 6 mai 2007 à partir de 20h00.

Les zoms, FIN.

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