22.10 - La poursuite de l’éclair #2
Il m’a piégé. Je croyais qu’il s’était embarqué dans la solution finale des grandes migrations à venir, et voilà qu’il navigue dans le détroit de Messine entre le Vrai et le Faux. Il devra échapper aux écueils et, face à Syracuse, me dire comment l’égalité naît de la concurrence. A moins que ce pervers ne réussisse à annoncer que c’est la concurrence qui naît de l’égalité. Je le hais.
Cent-vingt deuxième jour, fin.
Le vrai. Sa raison d’être est de ne pas être et d’exiger de nous que sans relâche nous nous en approchions alors qu’il n’existe pas. A chaque instant où nous croyons saisir l’éclair il s’éteint, mais nous avons touché une vérité. Ne crois pas la garder dans ta paume ; fermée, elle s’éteindra à son tour, ouverte, tu ne la verras même pas s’échapper et tout devra recommencer. Mais tu sentiras encore la légère brûlure qui t’aura marqué les lignes de la main pour qui saura les lire.
Me voilà bien, avec ma concurrence non-faussée qui n’existe pas. Je ne lâcherai pas le morceau pour autant, m’éloigner de ma recherche, m’éloigner d’une vérité possible, m’enfermer dans la nuit des faux, au bout de laquelle se trouvent la mort et la haine. Je vais m’accrocher à quelques réalités bien glaiseuses qui seront autant d’exemples particuliers, limités dans le temps dans l’espace et dans la pertinence. Des histoires du coin de la rue, des voyages autour de ma chambre, et peu m’importe que la phrase soit déjà brevetée. Au moins, la glaise me retiendra au sol.
Le grand philosophe que voici qui se contente de son verre d’eau posé devant lui et qui fait de sa myopie une vertu ! Parlons-en, de ma myopie. Tout le monde sait que c’est grâce au petit caillou qu’on a ramassé enfant qu’on accède aux secrets des profondeurs géologiques, que c’est le chemin de croix de la fourmi longuement observé sur le dallage de la terrasse de la maison de papa qui nous a enseigné la valeur du travail individuel dans une collectivité. Petit je me suis cassé les yeux sur ces minusculités, et j’en suis devenu myope.
J’ai gagné le droit à l’universalité. J’ai bien remarqué ton ennui devant mes grands principes de liberté et d’égalité dans la concurrence, et de la nécessité du minimum. Je ne me crois pas capable d’en dire davantage, tu es assez grand pour trouver ton chemin dans ma jungle d’argent. Alors il me faut désormais grossir ma loupe, passer du grand angle au macro, et de l’astronome à l’entomologiste. Je vais nous regarder dans les yeux.
J’y vois deux avantages : vérifier que le général s’applique au fantassin, et raconter des histoires de fantassins, qui permettront de penser à d’autres sujets que celui dont je me réclame, et ainsi dériver dans des ailleurs de récréation.
Au lieu de m’épuiser à démontrer que ce qui n’existe pas n’existe pas, comble de l’absurde, je vais vérifier que ce qui peut exister existe. Voilà tout.
Eté 2008.