22.10 - Egalité, la reprise. #1
J’avais patiemment continué ma récolte, dans les rochers de la conche. Repriser n’est pas difficile, la pile de fiches est poussiéreuse mais lisible. Il suffit de suivre les doigts sur le clavier noir et blanc.
Cent-vingt deuxième jour.
Un vrai, des faux.
Tôt ou tard, il faudra mettre les mains dans le cambouis, agir en quelque sorte. C’est bien joli de se draper dans de grands anathèmes, mais ils sont tous à notre porte là maintenant tout de suite, j’ouvre, ou je n’ouvre pas ? Je n’aurais peut-être pas dû laisser ma loupiote allumée, ni mon père, ni mon grand-père, c’est entendu ; mais maintenant, j’ouvre ou je n’ouvre pas ?
Mon bon William, telle est la question qui devance la tienne, avant de savoir si l’on est, il faut savoir si l’on ouvre.
Je te propose d’aller au bout de mon impasse. Nous y trouverons peut-être une porte dérobée et nous verrons ce qu’il y a derrière le mur. Il fut question de liberté, tentons d’approcher maintenant l’égalité dans notre affaire de concurrence. Laissons derrière nous les peuples des bateaux, ils finiront par nous rattraper, nous devrons de toute façon nous en occuper mais nous n’avons pas encore forgé les bons outils.
Qui sait si nous ne trouverons pas ici de quoi sauver notre monde, notre Société floue dans ses frontières, floue dans ses valeurs, et donner à la concurrence libre sa nécessaire fonction de non faussée pour rétablir l’ordre, mieux, pour établir l’égalité ? Qui sait ? Faute de réponse, et même si je sais que ce n’est pas une raison pour que je sache, je me mets au travail sans quoi je ne saurai jamais, à coup sûr.
La difficulté se niche dans ce mot étrange, le mot non-faussée, adjectif au féminin car concurrence non-faussée, une sorte de double négation sans affirmation à placer en face comme référence. Il ne faut plus examiner ce qu’elle doit être, par exemple libre, mais ce qu’elle ne doit pas être. Avec le mot libre, j’avais du champ, la place pour les phrases, les gestes, la rhétorique et les folles métaphores. Avec non-faussée, j’ai un doublet de plomb, aride et désorienté. Je vais devoir être davantage thanatopracteur que Démosthène, taxidermiste qu'enjoliveur, et plutôt que de bidouiller il me faudra besogner.
Adjoindre le mot égalité pour tenter une approche roublarde ne suffira pas, car si le négatif contient de l’égalité, il reste négatif. Pourquoi n’existe-t-il pas dans la langue française un mot positif qui serait le contraire de faussé, et féminin contraire de faussée. Défaussé ? Défaussée ? Je ne passe pas ce pont là.
Loyale, honnête, véritable, sincère, tu vois bien que rien ne fonctionne, et si vrai est le contraire de faux, alors ce serait véritable le contraire de faussée ; mais ce mot véritable sonne faux. Il y a un vrai, il y a une infinité de faux. Je ne sortirai pas de ce trou en m’accrochant à cette symétrie fallacieuse, d’un côté le vrai de l’autre le faux. Il n’y a jamais deux côtés et le combat est inégal, parce que finalement le vrai n’existe que par l’existence de l’infinité de faux qui le cernent, et toucher le vrai impose d’avoir d’abord essayé l’infinité des faux, ce qui ne se peut pas.
Alors nul ne peut prétendre toucher ce point brillant dans notre nuit, il nous éclaire, nous croyons le saisir et l’éclair s’est éteint.
#22.10.2 à suivre.