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LES ANACHRONIQUES
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19 novembre 2009

22.15 - MONSIEUR NOBEL. #3 : La femme nue.


Ne changeons pas de jour. Monsieur Nobel n’est pas encore en service, il faudra avaler la fable jusqu’au bout.

Il était une fois deux villages dans un pays déshérité à l’avenir incertain. L’océan monte d’un mètre grâce à nos fureurs dépensières et le pays se noie, prisonnier des eaux venues des montagnes et des vagues venues de la mer. En attendant le grand bain final, il faut survivre. Les hommes attendent que leurs femmes les nourrissent et, s’ils ne sont pas satisfaits, partent se vendre comme esclaves dans les usines de la ville, usines fraîchement débarquées des délocalisations venues de loin.


Cent-vingt-septième jour, suite.


Ils se trompent, les délocalisateurs fous, ils ont pensé au lendemain des bas salaires qui chantent, ils ont oublié le surlendemain des machines qui déraillent dans l’humidité et le mauvais entretien, de l’évolution des techniques qu’ils ne pourront suivre, des routes défoncées empêchant l’arrivée des matières de base et ralentissant l’export du produit, et toutes ces choses qu’on oublie si vite quand on croit à la vertu du seul bas salaire, toute honte bue et toute incompétence en bannière.

On ne parle jamais du retour piteux des patrons partis un dimanche en secret laissant sur le carreau des centaines de familles désemparées. Ils auront laissé le malheur derrière eux, partout où ils seront passés, avec leurs petites formules comptables apprises dans les écoles le nez sur la page blanche.

Les hommes partis, les femmes restent seules avec les enfants à guetter la montée des eaux, à se réfugier sur les digues, les monticules, à concentrer les villages dans leurs derniers retranchements. Chacune a son lopin de rizière, ses trois poules. Un coq de village fait la tournée de temps en temps pour que poussins et poulets il y ait le septième jour. La plus riche a une vache et il faut trouver des roupies pour un peu de lait d'elle.

Alors chaque jour, il faut trimer, gratter, courir, protéger la récolte et négocier ce qui manque. Des heures et des heures de sueur et de douleurs pour quelques giclées de lait. Au bout du village se trouve la dernière maison, sans dernière maison le village n’aurait pas de bout. Là vit celle qui avait un lopin mais la mer est déjà montée de dix centimètres et le riz ne vient pas dans l’eau salée, elle n’avait pas la force de remonter son petit barrage contre vents et marées ni les roupies de le faire faire par d’autres.

Affamée, il lui restait à manger ses quatre poules, trop vieilles pour les œufs et que le coq dédaignait ; elle a tenu plus que n’importe lequel d’entre nous aurait tenu dans sa situation. Des semaines, à ce qu’on m’a dit. Mais elle avait compris le film et personne n’avait besoin de l’emmener dans une école pour qu’elle comprenne ce que signifiait manger son capital.

Alors, dès la deuxième poule, qu’elle fuma pour la conserver mangeable à son retour, elle alla trouver Monsieur Nobel, à la grande ville des usines. Elle s’assit dans le vestibule où des nattes étaient disposées. De nombreux pauvres étaient là aussi, à attendre. Certains avaient dû avaler leurs dernières roupies pour ressembler à ce qu’ils croyaient être l’homme d’affaire, costume et cravate très incommodes dans cette chaleur. Très dignes, ils étaient pieds nus sous leur pantalon trop long.

Il y avait surtout des femmes et leurs étoffes colorées faisaient comme un tableau abstrait au regard du photographe esthète et indifférent, moins qu’on croit.

Elle attendit trois jours et trois nuits. De temps en temps, la secrétaire discrète installée au fond derrière un petit bureau d’acajou éclairé de la lueur verdâtre de l’écran, lui portait une tasse de thé avec quelques copeaux de miel, comme aux autres. Elle aurait pu tenir un an à attendre, il n’y avait aucune autre issue que l’entrée du vestibule traversée à son arrivée et la porte du bureau de Monsieur Nobel.

Son regard lui disait que le petit panneau doré placé sur cette porte comportait le mot « VIE ». Alors elle attendait.

Son tour vint. Juste avant de franchir la porte du paradis, elle aperçut dans le vestibule sa cousine qui attendait aussi, venue du village voisin. Sa cousine habitait la dernière maison au bout du village voisin.

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