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LES ANACHRONIQUES
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19 décembre 2016

112 - Quatrième jour : Entrer dans la cité #4/4

4. Celui qui veut entrer et celui qui veut sortir.


Je n’en ai pas terminé. Il faut encore une pierre à ma fondation, il faut revenir aux braves gens de tout à l’heure. Ils n’ont pas dit leur dernier mot. Il faut voir comme ils se précipitent tous dans la contradiction.


Les braves gens se réclament de Diogène et son disciple tardif, l’imprécateur de banlieue. Etourdiment, ils en font le porte-drapeau du combat des réprouvés de la terre, le noble forcément noble combat des victimes contre le monde impitoyable des puissances étatiques, financières, racistes, nationalistes, mondialistes, tout ce qu’il est si confortable d’invectiver. Les braves gens sont les robins des bois du temps de maintenant, en quelque sorte, ils se pavanent la bonne conscience en bandoulière, un petit Diogène à la boutonnière.


Regardez-les : ils défilent pour défendre les sans-papiers, les sans-logis, les sans-métiers, les « sans ». Jolie expression n’est-ce-pas ? On dit les « sans », on a tout dit. On aperçoit la longue cohorte des miséreux qu’on ne veut pas voir, et autour d’elle, affairés, les braves gens. Qui est cynique ? Moi qui ironise ou tous ceux-là qui se démènent pour atténuer les désastres de notre monde sans pitié ?


Je participe à ma façon à ce qui peut améliorer dans ma cité la vie des gens qui n’ont pas ma vie. Mon effort est modeste et je m’économise les postures et les criailleries, mais il me faut bien accepter des perturbations dans mon confort ; elles se nomment impôts, cotisations, dons, prélèvements, quotas, progressivité, et quelques autres mots de cet acabit, temps disponible aussi. Il est de bon ton de s’en plaindre, trop d’impôts, trop de taxes, trop de charges, le bon vieux discours machinal ; pour ma part j’accepte de bonne grâce ces contributions-là, je sais qu’en effet, ce temps donné et cet argent versé sont utiles. J’aime bien le mot contribution.


Je crois que nous devons le « sans » à Albert Jacquard. Je n’ai rien contre Albert Jacquard qui serait bien surpris de se voir mêlé à mon propos. Son énergie et ses convictions portèrent quelquefois leurs fruits, et loin de moi l’idée d’en rire ou d’en diminuer l’importance. J’admire son travail et tant pis si je ne l’accompagne pas sur certains terrains. Ce n’est pas l’objet de ce chapitre et je me garderai de toute ironie. Je m’inquiète en revanche de ces bonnes âmes qui lui ont collé Diogène dans les pattes et qui, ce faisant, avec toute la meilleure conscience qui soit, celle-là même qu’on se complaît à contempler dans sa glace tous les matins, anéantissent les efforts de notre bon vieux professeur.


Parce qu’une chose essentielle a échappé aux bonnes âmes, une chose que le vieux professeur connaissait bien, lui. La spécialité de Diogène est de cracher sur le monde entier dès que le monde se prétend humain, le monde entier, nul n’y échappe. Diogène ne s’embarrasse pas de considérations de pouvoir et de fortune, et s’il crache sur les puissants, il ne se gêne pas pour cracher aussi sur les miséreux avec le même enthousiasme, la même application, la même constance, la même vigueur. Puissant ou misérable, dès qu’on se prétend homme on est visé par Diogène.


Le voici donc, le contresens commis par les bonnes âmes qui se réclament de Diogène : on ne peut pas confondre le combat des exclus qui veulent revenir dans la cité et le choix de ce Diogène qui s’est exclu de lui-même et qui s’en vante : « moi, un homme ? Plutôt crever ! ». Ce à quoi les uns aspirent désespérément est précisément ce que l’autre rejette avec mépris, et il ne voudra jamais supplier d’être reçu là d’où les premiers ont été chassés.


Ne voyez-vous pas, bonnes âmes béantes, misanthropes de confort, que les humains que vous prétendez combattre à coup de slogans dérisoires, élite financière, capitaines d’industrie, milliardaires arrogants, tous ceux-là qui piétinent leur prochain pour leur plus grand profit, sont bien plus proches de ce Diogène que vous ne le serez jamais, dont pourtant vous vous réclamez ? Regardez les, vos ennemis : vous dites que seule leur importe leur réussite. Vous dites votre méfiance face à leur fortune toujours suspecte ; vous dites que leurs fins justifient leurs moyens ; vous dites qu’ils s’en vantent même et que sans remords ils laissent sur leur route des cadavres qu’on peut oublier, et vous avez raison de le dire : ils font tout cela en effet, mais pour eux ce n’est pas grave puisque justement l'homme n’est rien, même pas un homme. Mais n’est-ce pas exactement ce que Diogène dit ?


Et vous, qu’êtes-vous donc ? Il faudra vous y faire, le cynisme insupportable d’usage courant n’est pas le petit frère bâtard d’un cynisme philosophique honorable, ils sont frères jumeaux, et qui soutient l’un soutient l’autre. Alors réclamez-vous de Diogène tant que vous voulez ; chacun son choix. Mais votre bonne conscience restera à jamais coincée dans votre miroir, profitez en bien avant de sortir dans la rue.

FIN du chapitre 01.

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