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LES ANACHRONIQUES
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31 juillet 2020

336 - Soixante-troisième jour . De l'antisémitisme

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On voudrait me faire croire que le bien est ici et le mal là-bas, qu’il y a un chez nous et un chez eux, que chacun doit rentrer à la maison ? Voilà longtemps que tout s’est mélangé. Un enfant né et grandi ici est ici chez lui, qu’ici soit la douce France, la Palestine, le Nebraska, l’Altiplano. Les enfants des envahisseurs ont les mêmes droits, ni plus ni moins, que les enfants des envahis. Envahisseurs ? Ils peuvent l’être par conquête, mais avant de penser à ceux-là, ne pourrait-on pas se souvenir de ceux venus ici par fuite éperdue d’un enfer, d’une famine, d’un massacre.

Les conquérants ne sont jamais si nombreux que les éperdus. Oui la situation est inextricable partout, mais on ne sortira d’aucune impasse en oubliant cette règle fondatrice. Un enfant est toujours de là où il a grandi et non de là d’où viennent ses parents. On ne pourra jamais empêcher les influences et les persistances, elles sont une richesse plus qu’un obstacle, mais c’est le monde d’ici et maintenant, ce sont les gens, le climat, le sol, la géologie et le bruit du vent qui forgent un être humain.

J’ai presque tout dit. Il me reste un détail. Je n’ai pas parlé des juifs. Ils sont nombreux pourtant tout autour de cette mer, surtout après avoir été chassés d’Espagne par les très catholiques, et surtout vers la rive sud. Ils y ont rejoint leurs frères et demi-frères, là encore, même climat, même végétation, mêmes roches, même sol. Un détroit à franchir et de la place à revendre de Melilla à Tunis, sans compter le tapis rouge déroulé par la Sublime Porte.

Je n’en ai pas parlé. Mais pourquoi faut-il s’intéresser aux juifs ? Il était question de Méditerranée, de Nord et de Sud, des guerres et des pillages, et des justifications qu’on invente pour habiller l’histoire. Au milieu du tohu-bohu, ils tentent de tirer leur épingle du jeu, ils tentent aussi, tout comme le paysan du rivage et celui de la montagne, de survivre, de passer entre les bataillons, entre les balles et d’échapper à ce destin implacable qui voit les ennemis d’hier se réconcilier contre eux.

La question est délicate. Si je m’éloigne sans rien écrire, les penseurs chatouilleux vont m’accuser d’antisémitisme par omission. Mais si j’observe que la nécessité les a poussés à trop bien s’intégrer aux rouages ottomans, alors je deviens le grand accusateur. Quoi de plus légitime pourtant de se couler dans le moule et de prendre la forme que l’on attend de vous quand mille dangers vous menacent. On touche cette fragile frontière qui les encercle et qu’ils ont créée : ils se veulent, ils se proclament, ils se revendiquent différents, peuple élu. Qui a fait ce choix, qui a lancé l’idée, et qui la reprend pour s’en prévaloir ? Peu m’importe, j’ignore, moi, qui est juif et qui ne l’est pas. Religieux, mais comment nommer celui qui ne l’est pas ? Citoyen d’Israël, mais comment nommer le citoyen d’ailleurs ? Ethnique, mais comment nommer le blond plutôt que le brun ? Culturel, alors je suis juif aussi probablement, par cuisine, lectures, musiques et monuments interposés. Un peu de tout, et dans quelles proportions, avec quelles limites et quelles exclusions ? En cherchant bien, on finira toujours par démontrer que tout le monde l’est ou que personne ne l’est. Et pourtant, les voilà qui se sont enfermés dans leur forteresse assiégée et qui se proclament à nul autre pareils. Et je devrais les croire.

Y-a-t’il seulement une seule histoire des juifs ? Ceux d’Afrique du Nord ou ceux d’Europe Centrale ; celui qui s’est trouvé un lopin du côté d’Oran peut-il raconter la même que le marchand de Venise, le drapier de la Goulette, le coiffeur de Varsovie ? L’antisémitisme ne commencerait-il pas au moment pile où l’on prétend qu’ils ont la même ? Alors qu’on ne vienne pas m’accuser d’antisémitisme si je refuse de raconter l’histoire des juifs, si je refuse de parler d’eux. Ce n’est pas une définition, avec un contour précis et identifié, mais plutôt une sorte de halo qui n’est ni croyance, ni obédience, ni rituel, ni langage, ni filiation, ni morphologie, mais un peu de tout en proportions diverses, selon que l’on désire être ou ne pas être juif, selon ce que chacun décidera. Chaque hypothèse est réfutable, chaque choix une utopie. J’aime au fond qu’il en soit ainsi et que personne ne puisse s’emparer de l’anguille.

De savoureux exégètes seront capables d’écrire des livres entiers sur le sujet, de soutenir des thèses qui préciseront les paramètres, ils l’ont sans doute déjà fait. Après tout, le sujet est certainement très important, j’en conviens. Mais il ne m’intéresse tout simplement pas. Suis-je pour cela antisémite ? Il me faudra revenir sur ce point, je n’ai encore rien écrit.

Etre ou ne pas être juif, là n’est pas du tout la question.

Libre à moi de reprocher aux petits malins du temps barbaresque d’avoir tiré les marrons du feu, que m’importe que parmi eux il y eut des juifs, parmi eux il y eut aussi des chrétiens et des mahométans. Qu’une nation se déclare juive, j’en accepte la décision comme son libre choix, libre à moi de décrier ses comportements si je les désapprouve. Le fait que l’on soit juif ou pas n’interfère en rien sur les approbations et les désapprobations que je ressens, ni sur celles que j’exprime. Et que certains israéliens soient des soudards et des assassins, il faut pouvoir le dire et en débattre avec toute la fougue dont ce pays est capable dès lors qu’on peut débattre.

Appeler la Shoah à la rescousse pour justifier l’injustifiable est misérable ; les millions de morts ne sont pas morts pour que les soudards s’en réclament dans leurs propres exactions, ce serait une seconde mort pour ces millions de morts. Un crime contre l’humanité jamais ne justifiera un autre crime. Par définition, il appartient à l’humanité entière, tous peuples confondus, et nul n’en a l’exclusivité quand ses parents en auraient été les premières victimes.

Ce n’est pas antisémite d’écrire cela.

Je garderai donc ma libre plume de moine pour écrire tout le mal ou le bien que je pense de qui je veux, qu’il soit juif, noir ou arabe, beige clair ou bleu foncé, dès que quelqu’un m’expliquera ce qu’est un juif, un noir, un arabe, un beige, un bleu, et ce qu’ils ne sont pas. Sans parler de ceux qui seraient tout à la fois et d’un peu partout, juif du rosier ou de Judée, arabe de chez vous ou de chez eux, de Mésopotamie la vieille ou de Bagnolet la nouvelle, voisin de ma chapelle ou visiteur distrait, américain tendance Baptiste ou noir de Watts – avec ou sans contrebasse comme le bon vieux Charlie – tous à mettre dans le même sac humain sans préférence ni différence.

J’ai failli en oublier mon proverbe du début. Un jour je reviendrai sur tout cela, il y a encore beaucoup à dire et nombreux sont ceux qui déjà déclarent la guerre. En attendant, j’y reviens, au proverbe arabe que je n’ai pas encore proféré.

 

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