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LES ANACHRONIQUES
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1 février 2021

342 - Soixante-huitième jour . Le canut

 

La suite de mon histoire est facile ; il leur faut trouver un moyen de réparer la ficelle en ces temps de rudesse où les magasins de bricolage n’existent pas. Sinon ils finiront par mourir de faim devant les ossements de ce qu’ils ont prétendu être une baleine, ou plutôt les arêtes de quelque brochet à mon avis, en contemplant impuissants leur canne inutile et le ruisseau murmurant.

Le cahier des charges était clair : une ficelle neuve, au moins aussi résistante et transparente que celle qui leur avait servi si longtemps et qui, cassée en plein milieu, ne servait plus à rien. Comment, en ces temps reculés pouvait-on se trouver cette matière première ? Ni le pêcheur ni le bâtonnier n’en avaient la moindre idée et à nouveau ils virent arriver le moment où il leur faudrait quémander leur pitance à en redevenir anachroniques.

Je pourrais inventer, juste pour eux, une distorsion spatio-temporelle avec des univers parallèles, invoquer la courbure de l’espace, appeler Einstein à leur secours, utiliser des néologismes gréco-latins pour expliquer la situation et les tirer d’affaire. Je ne le fais pas, je dois assumer de ne pas leur avoir appris à fabriquer du fil après leur avoir appris à pêcher. Il faut que l’humanité progresse sans moi.

Dans leur recherche de plus en plus inquiète, ils rencontrèrent l’homme qui allait les sauver. Ce ne fut pas tout à fait par hasard. Ils remplissaient en effet la double condition indispensable à la découverte salvatrice : inquiétude et recherche, d’une part, rencontre inattendue d’autre part. Vous allez me dire que le hasard fait bien les choses, lieu commun inutile et ridicule. La rencontre, ils la firent mille fois auparavant et n’y avaient prêté aucune attention à tel point que, confrontés à la difficulté imprévue, ils n’avaient pas songé à en provoquer une mille et unième.

L’homme grassouillet qui allait entrer dans leur association les avait même plutôt agacés naguère, avec ses gestes désordonnés, sa transpiration continuelle, ses reniflements compulsifs. C’est en le revoyant ce matin là, car c’était un matin, qu’ils comprirent que ses talents allaient les sortir de l’ornière. Cet homme ne s’occupait que de petites boules légères agglutinées sur des mûriers ; il aimait les triturer, les malaxer, et, transpirant plus que jamais, il en tirait des fils interminables soyeux et résistants, pour la plus grande joie des enfants qui le suivaient.

Je n’y connais rien, à la soie, et je ne saurais expliquer comment il faisait. Va à Lyon et croise n’importe qui sur les pentes de la Croix-Rousse, il te le dira. Mais moi, non. Etaient-ce vraiment des mûriers et la transpiration avait-elle un rapport, je ne sais pas. Il suffisait simplement à nos deux compères que ce fil serve à la pêche et remplace derechef le fil perdu. C’est ainsi que le duo devint trio, le pêcheur, le bâtonnier et le canut. Le pêcheur dut pêcher un peu plus, mais sans craindre désormais de s’attaquer à de gros poissons, casser un fil avait cessé d’être grave.

 

 

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