375 - Nonantième jour . Castor

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Certains usages voudraient qu’on les appelât hommes. Je n’ai pas suivi ces usages. Je saurai quoi répondre si l’on me pose la question du pourquoi du comment. D’ailleurs je ne me répondrai rien, je couperai les ponts, c’est ma règle du jeu et ce n’est pas un jeu ; je refuse que ce qui va de « moi » vers « on » puisse servir de prétexte à un quelconque retour, à un quelconque dialogue. « On » est le transmetteur de mes fiches crayonnées à la hâte. Elles sont toujours crayonnées à la hâte quand bien même il m’a fallu des années pour en venir à bout, elles sont toujours crayonnées à la hâte quand tombe le mot que j’attends. « On » est seulement un ouvreur de bouteilles échouées sur le sable ou le goémon. Et je sais bien que « on » triche mais ne lui dites pas que je le sais car il le sait, que je le sais.

Je n’ai pas suivi l’usage : je n’ai pas voulu de ce mot, homme. Ecce homo, exit homo. Je ne voulais pas tomber dans cette guerre des boutons de la confusion du mot utilisé pour désigner l’espèce avec le mot utilisé pour désigner le genre mâle de l’espèce. Le genre femelle de cette espèce, que ces mêmes usages désignent par le mot femme, a pris ombrage de se voir ainsi dépossédée de son humanité par le seul expédient d’une appellation générique où le nom du mâle et le nom de l’espèce se trouvent confondus. Sache-le, ce combat ne me semble pas pertinent mais, bien que moine portant robe, je suis mâle et à ce titre supposé profiter de cet avantage linguistique, primordial paraît-il. Il faudra qu’on me l’explique, cet avantage, parce que les arguments entendus au gré des polémiques m’ont paru bien patauds et piteux.

Un jour j’écouterai mieux et je serai peut-être convaincu. En attendant, j’emploie le mot zom. Cela restera entre nous, nous dirons qu’il désigne l’espèce entière, et qu’une femme est un zom comme les autres. Voilà. J’espère avoir ainsi sauvé sa zomitude. Alors, un zom, des zoms, un zom mâle parfois nommé homme, un zom femelle parfois nommée femme, espèce animale classée savamment sous le nom de « homo sapiens-sapiens », car bis repetita placent. Il faut donner le genre, comme dans tout dictionnaire qui se respecte, et le piège va se refermer sur moi. Nom masculin. Damned. Le cochon mâle est un verrat, l’oie mâle est un jars, la panthère mâle est une panthère, le bovin mâle est un taureau. Cherchons l’intrus. Le petit jeu du genre est absurde, prenons-le comme il se pratique oui les règles déplaisent mais ce n’est pas en changeant ces règles linguistiques qu’on changera les comportements ; c’est l’inverse qui arrivera : que changent les comportements, que meure le patriarcat, et le langage suivra, vous verrez, nous verrons, enfin, nos enfants verront ou nos petits-enfants, ou nos arrière-petits-enfants, et seulement si nous ne nous trompons pas de combat aujourd’hui, charrue et bœufs.

Ayant imprudemment fait part de ces réflexions à la vieille dame au turban qui passait en visite l’autre hiver, tu te souviens de la vieille dame dont j’ai parlé hier, elle portait un turban et se nommait Castor, elle a brandi son parapluie en proférant force menaces et invectives dans un style très littéraire. Elle m’a dit que je devais écrire « zêtrezumins ». Ce sont des « zêtrezumins », a-t-elle insisté, et l’ombrelle s’agitait menaçante dans le ciel hivernal. Je n’ai pas eu le courage de lui dire que « zêtrezumins » était un mot masculin, j’aurais aggravé mon cas. Alors elle est repartie en voiture, Simone.

Une fois de plus j’avais chaud et ce n’était pas à cause du froid, je ne savais que répliquer, comment pourrait-on répliquer à Castor quand on n’a pas les yeux divergents ? J’ai donc renoncé aux hommes et comme le mot « zêtrezumins » ne convenait pas bien à mon rythme, j’ai décidé d’appliquer celui que j’ai trouvé dans le premier dictionnaire venu, les zoms. En vérité, j’ai eu beaucoup de mal à dénicher ce premier dictionnaire venu là.

• "ZOM : n.m/f. Un zom, une zom, des zoms. Aussi pluriel que singulier. Grand singe déplumé qui n’a que deux mains au lieu de quatre comme tout le monde alors il reste debout au lieu de grimper aux arbres ; la sous-espèce qui grimpe aux arbres se nomme garnement".

Voilà ce que prétend le premier dictionnaire venu.