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LES ANACHRONIQUES
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25 juillet 2023

378 - Nonante-deuxième jour . Le singulier trop pluriel

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Je voudrais éviter qu’il y ait du contresens dans l’air. Je n’ai jamais prétendu prôner le bain de foule ; bien au contraire je les fuis, anonyme ou familier. Ce sont lieux de perdition, les cortèges, les rassemblements, les manifestations, les communions. Si tu crois que je t’y mène, tu dois tout recommencer depuis le début.

Il m’est bien arrivé quelquefois de participer à des manifs sans même y être contraint ni qu’on m’en prie, simplement parce que je jugeais nécessaire de faire nombre lorsque le nombre me semblait le dernier argument possible, tous les autres ayant échoué. Je trouvais là comme une défaite de la pensée, bien que ce terme soit galvaudé par de faux prophètes. C’est justement parce que c’est le nombre qui importe bien plus que la vigueur des slogans alors proférés que la querelle du décompte des gens dans la rue prend toujours une tournure de caricature.

Mais j’avais ces journées en horreur. A deux ou trois reprises, après ces manifs d’où les cinq cent mille manifestants ou plus encore (vingt mille selon la police) sortaient tout euphoriques d’une telle mobilisation inattendue comme dopés jusqu’à la moelle par ce bain de cris et de sueur, sans parler des merguez, je me suis affalé sur ma chaise à me mettre à trembler au point de ne plus pouvoir tourner la clé de ma chapelle, presque à pleurer. Je me suis vu renoncer à mon précieux café et rejoindre tant bien que mal mon lit de moine et dormir quarante jours. Alors, que personne ne commette l’erreur de croire que je prêche pour la vertu des foules, des masses, des agglutinations, la joie des stades en liesse, et des fêtes en rase campagne. Je pourrais bien mourir d’y retourner.

J’écris sur la vie en société, et non sur les heures de pointe. C’est clair, non ?

Je vais faire mon petit Aristote. Mon tout petit Aristote, micro, nano-Aristote, ne t’inquiète pas pour mes chevilles. Je ne l’aime pas beaucoup, tu as dû le remarquer, ce vieux barbu. Il a vécu deux petits siècles après Pittacos de Mytilène, ce qui n’est pas rien. Même vu d’ici, deux siècles sont deux siècles et l’eau a eu tout son temps pour couler sous les ponts du Méandre entre ces deux personnages. Pour être juste, je n’aime pas surtout ce qu’on a fait de lui pour nous verrouiller la comprenette pendant deux mille ans. Car je dois reconnaître qu’il nous a laissé quelques outils bien utiles pour réfléchir, un outil utile étant en outre un pléonasme.

Par exemple, les catégories. Oui je sais, j’ai pesté contre les catégories, et je peste encore. N’empêche, parfois il est bon d’avoir une grille, ne serait-ce que pour les merguez de la manif, alors pourquoi pas pour les saucisses du cerveau ? On peut mettre aussi les individus derrière les grilles, les mettre dans de petites boîtes, selon leur activité, leur densité, leur isolement, leurs croyances ou leur âge. Faisons attention à ne pas trop détailler, nous pourrions bien nous retrouver avec autant de boîtes que d’individus, et un individu par catégorie.

C’est décidément très délicat. Aucun zom ne fait comme son voisin zom, et pourtant ils ne se quittent pas. Certains font même exactement le contraire ; ils sont dans la même barque et ils rament et contre-rament ; le plus surprenant est de découvrir à la fin que la barque a bien remonté la rivière comme il fallait. Pas toujours mais parfois. Et c’est le parfois qui compte. Mon cerveau encore un peu fourmillant a de la peine à admettre ce que pourtant il constate. Combien de fois deux processus opposés aboutissent-ils au même résultat ? Observe un peu autour de toi. Aucun ne va détenir la vérité juste, et seule la confrontation de leurs antagonismes aboutira. C’est ainsi qu’il faut observer, chacun trouvera les exemples, quelques exemples. Un seul suffirait.

Me revoici fourmi. Lorsque je transportais ma grosse miette dans la file montante, il ne serait pas venu à l’idée d’aucune des copines de la file descendante de me la prendre et de la rapporter d’où je venais ; non seulement cette idée était inconcevable, mais l’idée qu’on puisse en avoir l’idée. Elle m’est venue à l’esprit aujourd’hui parce que j’examine les zoms, l’étant moi-même et non plus la fourmi que je n’ai jamais été. On se trompe à organiser les galères en rangs homogènes et simultanés, on se trompe non parce qu’ainsi la galère va plus vite, c’est un fait certain, mais parce que imaginer des galères n’est pas la bonne idée, n’a jamais été la bonne idée. Et les maîtres des mers dont on vante les exploits mythiques sous prétexte qu’ils avaient les meilleures galères du monde ont disparu de la surface des océans sans laisser d’autre trace qu’un souvenir glorieux qui ne nous sert à rien.

Il va falloir simplifier, sinon je ne vais jamais y arriver. D’autant que le temps se radoucit et que je vais bientôt devoir reprendre la pose, passer plus de temps sur ma chaise qu’au café. On prétend même que des passages auraient été ouverts dans la ligne, là-bas à l’horizon qui poudroie. Dois-je croire au miracle quand ils arrivent, moine incroyant que je suis ?

Il y a le gros de la troupe, bien serré sur lui-même, Entreprise ou commune, nation ou couleur de peau. On tire à hue et à dia, on s’entretue de paroles, on s‘associe de malfaiteurs, et pourtant la troupe avance.

On dirait qu’elle avance.

 

 

 

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