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LES ANACHRONIQUES
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27 juillet 2021

356 - Septante-huitième jour . Le gouffre d'Aristote

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Rira bien qui rira le dernier, camarade Aristote. Voilà deux mille ans que vous nous assaisonnez. Les pères de l’Eglise vous ont caché sous leur soutane et dès lors nous étions perdus. Les mollahs vous ont enrôlé dans leur turban et ce fut pire. Puis, dans un dernier effort, oubliant l’esprit fugace, les grilles que vous aviez construites pour lire le monde et le découper en quartiers se sont refermées sur les camps sous prétexte de rationalité rigoureuse, le fin du fin du rationnel poussé au bout, poussé à bout, le sommet de la vérité proclamée et révélée avec un Vé majuscule comme il se doit.

Nous voici au fond du gouffre. La raison est devenue folle. Auschwitz l’a brûlée morte, la Kolyma l’a figée dans les glaces : la raison du Nord perdu. Nous voyons bien que tout se dérègle et que nos beaux discours tournent à vide. Le rire de Voltaire résonne et déraisonne, il s’est étranglé sans qu’on le sache ; Diderot n’a plus de neveu à corriger. La connaissance est dédaignée, le savoir redouté, et la mort est plus gaie que la vie. Il faudra se cramponner au bastingage, la terre tangue mais rien ne doit interrompre l’écriture pour survivre et pour que les enfants trouvent un canot de sauvetage ou les enfants de nos enfants, le jour où nous ferons naufrage.

Ramener la raison à la raison. On ne peut pas compter sur Aristote. On n’aurait jamais dû compter sur lui ni avec lui. La raison ne gagnera jamais sur la complexité du monde et permettra juste, ici ou là, de maintenir une petite parcelle d’ordre provisoire pour nous maintenir en vie sur le radeau de la méduse. Tu as écrit que l’on ne se baignait jamais dans le même fleuve, l’a-t-on assez répété cette phrase jusqu’à la rendre machinale, et tu as ainsi proclamé la mouvance universelle. Oui le mot mouvance paraît inexact mais il dit mieux qu’un autre cette vision que tu eus de l’impermanence, de l’intranquillité du cosmos, comme un infini champ de sables en sous-pression d’eau sur lequel il nous faut trouver le moyen de marcher. Mon ami Michel a trouvé la formule : « le monde est une branloire pérenne ». Qui pourrait dire mieux ?

Par delà les souffrances qui prospèrent lors des combats d’arrière-garde, quand ils seraient menés par d’immenses armées au matériel terrifiant ils restent d’arrière-garde, c’est le rire de Voltaire qu’on entendra sous le fracas des bombes, ténu et indomptable. Si un jour il se tait, c’est que l’homme, l’humain, l’humanité, aura disparu de la planète.

Héraklite, ton lumignon ne s’est pas éteint et je construis la lanterne qui le laissera brûler dans la tempête, sauver la lumière fragile. Qui sauvera-t-elle de la perdition ? Je l’ignore. Il ne m’appartient pas de le savoir. Mon travail est de construire la lanterne des survivants, à toi de l’éclairer.

 

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