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LES ANACHRONIQUES
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8 mai 2009

22.11 - #3 Les faux semblants.

Encore le cent-vingt-troisième jour, suite de suite et fin. Il faut toujours qu’un jour finisse, quand il aurait duré neuf mois, il faut toujours qu’il accouche. Paresse n’y peut, le ventre grossit et ce qu’on attend vient. La concurrence collective, les ensembles qui se défient, les groupes, les classes. Tu as dit égalité ? Ce sera long, cette fois. Ce sera très long, le Moine s’est répandu, il est parti, il a lâché les freins, il a eu du mal à s’interrompre.

Je ne lui donnerai pas tord. J’ai bien essayé de couper sa fiche en deux, histoire de prolonger encore le 123ème jour, mais je n’ai pu trouver de césure ; aucun redan pour calmer le flot, aucune écluse, aucune excuse. Alors voilà, je verse à vos pieds, à tes pieds.


Cent vingt troisième jour (suite et fin)
22.11.3    Les faux semblants.


Je dévoile mes charmes et je suis rétribué en retour. Il en sera de même pour toi. Ainsi la Société te fait vivre et y trouve son compte, ainsi la Société profite de toi et tu en tire un statut. Un peu tôt pour la statue, mais au moins tu existes, là, sur ton trottoir. Et je vois bien ce qui te chagrine et que mes mots commencent à dévoiler. Tu te sens comme rabaissé, ou sur le point de l’être, sous prétexte de statut, sous prétexte d’exister. Tu sens que la couleuvre devient indigeste et que les beaux idéaux s’évanouissent. Te voici comparé au plus vieux métier du monde, ainsi le nomme-t-on parfois de peur de se faire mal à la langue avec le clair et net.

Tu as bien remarqué que je n’ai rien dit par hasard et que je voulais que cette pensée te vienne.

Tu as tord de m’en vouloir. Nous en sommes là tous les deux, à faire ce vieux métier, tous nos semblables en sont là, et si l’opprobre s’attache à tel ou tel métier plutôt qu’à d’autres, c’est une injustice fondamentale. Tant que nous ferons tous ce métier, de donner un morceau de nous, morceau de cerveau, de force, de chair, de muqueuse, de sang, en échange du droit de vivre, nul ne méritera jamais , tu entends bien, le mépris où parfois on le tient sous prétexte de profession.

Tu veux un peu de crudité ? En voici, nous faisons tous la pute, pour exister, c’est plus ou moins caché, plus ou moins décoré, empailleté d’euphémisme et de grandiloquence, mais tous nous le faisons. Et je veux être précis jusqu’au bout, directif ce qui me ressemble pourtant assez peu, je n’en suis pas fâché, ni pour moi ni pour toi. J’écris ce qu’on attend de moi que j’écrive et on me donne de l’argent pour cela. Je dois savoir ce qu’on attend sans qu’on me fasse un dessin, je dois devancer le désir de ces messieurs, je dois soumettre mon être à leur avoir et leur donner la perle qu’ils devinent, sans rougir, sans honte, sans pudeur, sans vergogne. Je ramasse le chèque et je vais le poser à la banque.

Où est la différence ? Pourquoi serais-je plus noble que celui qui s’échine à la chaîne, que celles qui claviculent du matin au soir, que celles qui arpentent les trottoirs nocturnes à guetter les désespérés du vit ? Elles sont ce que nous sommes tous, mais commençons par elles, si tu veux, si je veux avancer dans mes concurrences. Ce qui se passe chez elles vaut bien ce qui se passe ailleurs dans tous les recoins de notre monde, n’en déplaise aux puritains bien engoncés dans l’ordre moral à la mode des tenanciers du haut du pavé de ces jours-ci.

Je sais que tu n’as jamais eu besoin de leurs services tarifés, et je crains que ce ne te sois un manque, ce contact charnel avec l’ultime recours. Bien emmitouflé dans ma bure monacale, je n’en sais peut-être pas davantage que toi, mais je continue malgré tout. Alain Finkielkraut n’a aucune raison d’être le seul à pérorer sur ce qu’il ne connaît pas.

De la flamboyante prostituée des beaux quartiers qui a su séduire celui qui convenait et qui aujourd’hui se pavane au grand jour sans craindre les messes basses et les doigts pointés, miracle de l’or, et je n’accepterais jamais le pourboire d’un touriste visitant mon icône qui ricanerait sur son compte, de quel droit la condamnerait-on, à la catin triste et dépenaillée qui paie cher ses rêves de jeune fille de pays froid dans la camionnette, au fin fond d’une banlieue sombre ou au détour d’un bois urbain, va là-bas qu’on lui disait tu trouveras l’eldorado et elle a remonté le Danube et a été accueillie comme on sait, prisonnière de la camionnette, prisonnière des passeurs et de leurs complices policiers, ministres, présidents la pudeur, je n’accepterai jamais la gloriole de celui qui a prétendu les faire disparaître des avenues de Neuilly sous prétexte de moralité, les livrant définitivement aux mains des profiteurs et des bourreaux, aux brûlures de cigarettes et à la confiscation des passeports, plus vulnérables encore et que je te renvoie chez toi d’un air outragé si je te pince, encore heureux si le ministre n’a pas de surcroît abusé, elles ont toutes mérité de la Société dont nous sommes et notre seul devoir est de faire qu’elles en soient.

Alors ne te méprends pas sur ce que j’écris. Se prostituer au sens strict appliqué à une femme, mettre tout ou partie de son corps à la disposition d’un homme affamé, est un acte aussi honorable que celui d’archiver chez un notaire les dernières volontés du client qui vient de sortir. La différence tient à un fil, une chance ou une malchance, une volonté égarée ou l’ignorance étourdie, une seule issue dans une impasse mortelle, pute célèbre ou catin triste.

Archiviste. Avocat. Archevêque. Président.

Nous sommes tous peu ou prou l’une et l’autre, et nous existons dans la Société, nous en sommes, parce que nous sommes hommes, et qu’être membre de cette Société est la condition de notre humanité. C’est notre grandeur à nous.

Pour en finir avec cette prostitution de métaphore qui te liquéfie, je méprise aussi ceux qui leur reprochent de parfois, dans ce métier, je suppose que cela arrive en effet, d’y rencontrer le plaisir. Comme s’il était interdit, lorsqu’on fait bravement son travail, d’y trouver de la joie, du plaisir, de la jouissance.

Le jour est fini, 24 octobre 2008, minuit moins deux

Commentaires
M
Tu vas bien ?
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M
la serpillière (wassingue entre nord et belge) fut indispensable ! imagine un chauffe-eau de 150 litres (d'eau à 60°) qui se vide ... ce ne fut pas mélodie en sous-sol et je ne lui ai pas dit non plus : mets l'eau, dis, dans mon sous-sol. Et pas de plombier de n'importe quelle fabrique non plus !<br /> Ceci m'éloigne de ce que je voulais dire après le ressenti en première lecture, à propos du tourisme au Sénégal. A +
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M
Pensées multiples et bousculées, je reviendrai.
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Mon nom est THEOLONE - Philosophie et bavardage
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