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LES ANACHRONIQUES
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9 septembre 2009

22.14 - #3 : La femme honorable.

Cent-Vingt-Sixième jour (#3).


La vois-tu, la jeune immigrée de l’Est à qui l’on aurait rendu la liberté, dans nos rues d’hiver ? Certes moins rigoureuses que là-bas, mais toi aussi tu as besoin au moins d’un bon pull, ne me dis pas le contraire. Tu la vois, livrée à elle-même après avoir échappé à la police et à ses gardes. Elle a bon dos, la liberté, la libre concurrence, et ta thèse se trouve en difficulté maintenant que je t’ai pris aux mots que tu viens d’écrire. Naïf ? Permets-moi de changer l’ordre des lettres, et de persiffler, niais.

Soyons d’accord une fois pour toutes : la laisser partir à la dérive dans les rues de la capitale sous prétexte de liberté retrouvée, avec son fichu et son pull tricoté, ne sera pas un cadeau. D’ailleurs la liberté n’a jamais été un cadeau et ne doit jamais l’être, on n’offre pas la liberté comme une cerise sur un fraisier, comme une bague de fiançailles, au demeurant plus proche de l’anneau d’attache que du tremplin d’envol. La liberté se prend et se garde, la liberté se décide le jour où l’on n’en peut plus de ne pas l’avoir, fût-ce au risque de sa vie, et personne ne peut décider à ta place, personne ne peut te la donner si tu n’en veux pas, et pourquoi faudrait-il qu’absolument tu la veuilles ? Ta liberté commence le jour où tu peux décider si tu le veux contre mon avis pressant, de ne pas être libre.

Mais en toute connaissance de cause.

Ce n’est pas moi qui lui fais le cadeau de partir libre dans les rues. Elle a subjugué la police, je ne sais comment, elle a noyé le passeur et ses complices, par magie ou par hasard, et la voici libre de sa liberté conquise et je n’y suis pour rien. Mais elle n’est pas sauvée. Je dis seulement que si la Société veut rester cohérente avec son discours fondateur de concurrence libre et non faussée, alors elle se doit de donner les moyens à cette femme d’exercer son métier avec les mêmes armes que ses concurrentes, quand ce serait le métier de chair, le métier de prostituée, la catin de service, elle se doit de donner les armes qui permettront à cette femme honorable de participer à la vraie vie sans laquelle la Société disparaîtrait, elle se doit de lui donner le langage, l’écriture et la lecture, les comptes, et la table où s’asseoir et le lit pour se coucher. Je parle des bases de vie et non des instruments de travail, comprenez-moi bien.

Pourquoi faudrait-il toujours prendre des airs détournés pour dire les choses ? J’aurais pu pour me rendre aimable parler de soudaine vocation ou de talent caché, de Pygmalion extralucide qui aurait tout compris rien qu’en la croisant à l’angle du Boulevard Saint-Michel et de la rue des martyrs et qui la propulserait à la fortune en deux temps trois mouvements hollywoodiens. Ou bien j’aurais pu prendre des exemples prestigieux, la petite main qui devient Coco, le petit mitron qui devient Bocuse, le pauvre petit orphelin qui devient Rockefeller.

Non, elle est ce qu’elle est, et si elle n’est ni mathématicienne ni violoniste virtuose, devant l’impuissance soigneusement préméditée de l’ANPE, elle est et reste pute. Elle doit faire ce travail là. Je dis qu’alors la Société se doit de lui permettre de faire ce métier, et de lui fournir le nécessaire, pour manger et dormir propre, pour se regarder dans la glace chaque matin et ne pas avoir honte de l’épouvantail réfléchi. Quand de clairvoyants philosophes avaient associés trois mots pour résumer le tout, ils avaient choisi tout ce qui était nécessaire ; peut-être suffisant aussi mais je n’en pas sûr autant.

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Commentaires
M
Toutes pareilles ...
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A
Il y aurait beaucoup à en dire. Elles ne savent même pas qu'elles sont aussi courtisanes que les autres, ou plutôt elles le savent et détestent cette concurrence de celles qui disent qu'elles le sont.
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M
C'est à cause des matrones que les courtisanes ont subi le statut de prostituée. Dommage !
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M
Réformer le Code Civil ? par quel bout commencer ?
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M
Faut-il réellement écouter les discours fondateurs ? écouter, oui, les croire, c'est un autre débat.
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Mon nom est THEOLONE - Philosophie et bavardage
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