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LES ANACHRONIQUES
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5 septembre 2011

24.02 - L’âne au champ d’honneur.


Là doit être planté le mât central autour duquel nous danserons nos rites et nos rythmes, là est l’Omphale. La tâche est lui trop difficile, au moine, je connais le chemin c’est à moi de le parcourir et d’inventer les droits universels, les moyens d’exister, l’être unique que nous sommes tous en chacun de nous. Vaste et nécessaire programme. En réalité, nous connaissons tous le chemin, et je ne vois pas pourquoi je serais le seul à m’y atteler. Et vous verrez que nous n’inventerons rien en nous y mettant tous, et que seul compte le fait de s’y mettre tous.


Cent-quarante-quatrième jour.

Je ne sais par où commencer. L’évidence trompeuse me pousse à commencer par le commencement. La liberté, va pour la liberté.

Tout aurait été dit, sur la liberté, et je suis bien embarrassé de chercher un mot de plus, une originalité tonitruante, quelque géniale maxime à graver sur tous les frontispices. Trouve le, toi qui es si malin. L’homme est libre, d’une liberté totale à quelques détails près, et tout le monde sait que le diable se cache dans les détails.

1. Il y a le détail de l’âne de Buridan. Est-il libre, l’âne, s’il doit choisir entre un chardon moche et fané et un chardon bien appétissant, tous deux également accessibles ? Son choix n’en est pas un qui va directement se porter sur le bon chardon et négliger l’autre. Ou alors il affirmera sa liberté en croquant l’immangeable, mais que lui aura ajouté cette folie ? Et si les deux chardons sont exactement semblables, pourquoi l’un plutôt que l’autre ? Tant qu’un souffle de vent ne fera pas pencher celui-ci un peu plus proche que celui-là, un si petit souffle, il restera interdit entre deux mets et mourra de faim sans zéphyr. On a glosé des pages entières sur cet âne, mort depuis longtemps je le crains. Et on n’a pas résolu la question du libre-arbitre. On ne lui a pas trouvé d’issue.

Quoi qu’il arrive, tu n’as pas la liberté véritable de tes choix. A l’instant même où tu choisis, tu cèdes à un torseur et à sa composante ultime ; non que ton choix soit nécessairement rationnel, juste, heureux, optimal. Tu peux faire de mauvais choix, c'est-à-dire des choix dont les conséquences seront funestes pour toi ou pour d’autres, car tu ne connais pas tout de celles-ci à l’avance. Tu peux même, les connaissant, les ignorer car d’autres forces du torseur les contrecarrent. Ce qui importe est l’impulsion qui résulte de ces efforts contraires et de leur combinaison complexe. Autant dire que tu n’as pas eu le choix et que, tel l’âne, il a suffit d’un zéphyr pour faire pencher la balance vers quelque destin nouveau, et ce à chaque seconde de ta vie.

Qu’est-ce alors qu’une société de liberté si dans chacun de ses gestes nul ne peut se dire libre, poussé au gré des courants, des pressions, des envies et des nécessités, rien d’autre qu’une société où tout est organisé ainsi que les gestes que tu fais par simple inclination te croyant libre sont justement ceux qui sont avantageux pour la société. Comment ? Peux-tu le redire sans rire ?

Tu peux répéter la phrase si tu veux, moi j’y renonce, je ne crois pas qu’une telle société me convienne, je ne pense pas tenir là le chemin qui va me faire gravir ma montagne. Je ne veux pas de cette liberté là, et pour un peu je suivrais l’exemple de l’âne qui, rien que pour me contrarier, a mangé le mauvais chardon. A trop vouloir bien faire, on tombe vite dans le piège du cerveau disponible, cette force de suggestion où tu vas accomplir ce qu’on attend de toi quand tu croiras l’avoir librement décidé, boire une boisson gazeuse marronnasse ou tomber au champ d’honneur comme on dit, on laisse monter le péril du voile ci-devant librement choisi, pourtant insulte à notre dignité d’êtres humains que nous soyons hommes ou femmes, on permet aux petits chefs de faire travailler plus ceux qui s’imaginent avoir décidé de gagner plus.

Il me faudra une autre définition du mot et de l’état de liberté. Demain il fera jour.

2. Un autre détail me chiffonne.

Sitôt que tu te dis libre, voici venir le mauvais coucheur que te murmure à l’oreille que ta liberté s’arrête où commence la liberté de l’autre. Voilà qui est bien rédigé dans l’universel texte, quoique je ne sois pas certain de l’exactitude des mots que j’emploie ici. L’autre ? Qui est-il, cet autre en forme de bâton dans les roues ou pour te faire battre.

Mais tous, mon ami, tous les autres, six, sept, dix milliards d’autres, moins toi, moins moi. N’importe lequel de mes gestes, le plus anodin, le plus machinal, le plus discret, n’est-il pas déjà un empiètement ? Toi qui respires devant moi, ne me voles-tu pas une part d’oxygène ? Le seul fait d’exister ne fait-il pas de toi une menace pour les six, sept, dix autres milliards ? Alors même que nous tous nous nous savons nécessaires les uns aux autres par le seul fait de notre humanité, quand nous serions les plus parasites des pique-assiettes, nous nous vivons comme encombrants ou nous ressentons la foule des autres comme encombrants, ce qui revient au même.

Tu as du plomb dans l’air, belle liberté de l’air et pourtant tu es la première de nos droits. Quand ce serait la faim qui fait descendre dans la rue les populations en colère, leur premier cri est liberté, le pain vient ensuite, comme s’il fallait d’abord ce mot là, cette pensée là, pour que l’estomac crie famine. Il va falloir oublier la pureté philosophique, l’absolu, l’utopie, l’extrémisme. Il va falloir toucher l’universel en s’occupant du pré carré, du mouchoir de poche, des murs de la chambre. Ni anarchie ni esclavage, la liberté universelle sera un perpétuel combat héraklitéen contre soi-même, contre les proches, contre la Société, contre le monde entier, et tout à la fois avec eux comme alliés.

Commentaires
A
D'un seul geste, d'un seul mot.<br /> <br /> La liberté de penser est surtout celle de ne pas se laisser penser par d'autres. Mais ce n'est pas la plus fondamentale, on peut toujours penser dans le secret de son cerveau muet.<br /> <br /> La liberté de penser tout haut est autrement difficile à gagner.
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M
Si le choix de l'action, dans l'action, est limité, celui de penser demeure - dans les limites de la Connaissance, je te l'accorde - une liberté, non ?
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