338 - Intermezzo : le malheur africain

LE MALHEUR AFRICAIN

Le conte de fées allait durer neuf mois. Un vrai temps de gestation. Neuf mois d’insouciance et de joie à parcourir les hauts plateaux, à suivre les pèlerinages hauts en couleurs et en misères, à rendre visite au grand poète devenu trafiquant ou plutôt à ce qui est devenu sa maison et où peut-être il a habité, à promener par monts et par vaux le ventre arrondi où ta mère se préparait à une belle vie entre ces deux amoureux là.

Enseigner la langue de Molière à de grands gaillards d’adolescents qui n’en croyaient pas leurs oreilles et s’appliquaient sur les règles fantasques et les exceptions multiples, construire des plans sur la comète, croire aux lendemains qui chantent. Voilà ce que je sais de ces neuf mois là à travers ce qu’on m’en a raconté, ce que ‘Aliénor m’en a raconté. Qui d’autre aurait pu ou voulu me le raconter ? Les amis d’alors se sont éparpillés dans le monde et ceux qui sont venus après la bataille n’en savent pas plus que moi, n’écoute rien, laisse parler. Essaye juste de comprendre.

Puis il y eut les quatre derniers jours et ceux-là je ne les raconterai jamais. Ils ne m’appartiennent pas. Seule ‘Aliénor sait. Seule, elle porte la douleur du souvenir. Seule elle a dû faire face. Les quatre terribles derniers jours dont tout le monde parle avec des mines de circonstance mais qui ne sont que ceux de ‘Aliénor, la mère de ta mère, de personne d’autre. Elle a surmonté l’épreuve, elle a survécu, elle a reconstruit sa vie détruite, et je n’accepterai jamais que quiconque lui reproche sa résilience, quels que soient les moyens qu’elle a dû trouver, improviser, saisir, dans l’urgence et dans la tempête, et contre tous ceux qui ont tenté d’en profiter.

Je sais bien que le mot de résilience est un peu trop à la mode. Mais parfois c’est exactement ce mot là qui s’applique, et tu en es le résultat.