22.91 - De la longueur des jours.
Cent-vingt et unième jour, reprise.
J’aurais dû intituler ce chapitre : de la langueur des jours. Mais j’écris directement au clavier, sans passer par le filtre du carnet chiffonné du mon fond de poche, sans passer par la pile de fiches devenue lippe de chiffes. Alors les mots sortent du dessous de mes doigts comme des prisonniers qui s’évadent, le plus pressé en premier, tant pis pour la syntaxe, le rythme, l’allitération et le pied de nez d’Alexandrie. Le Moine attendra que je me réveille et que je reprenne la marche pas à pas dans les traces de ses mots.
Plusieurs mois ont passé sans que cet écran blanc me pose sur le siège en cuir d’où je tape, sans qu’une envie soudaine de pisser la prose m’y précipite, sans que le tumulte qui s’embrouille là-dedans ne cherche un exutoire pour un semblant d’ordre, une apparence de cohérence, un flux tempéré. Une sorte de bleu de convenance s’est doucement posé comme une voile démâtée, et les fantômes qui s’agitaient dessous n’ont rien remarqué qu’un silence théolonien, un de ces silences dont il se dit le maître alors que je crois bien qu’il en est esclave.
Ne crois pas qu’aujourd’hui l’envie de pisser soit revenue. Je cherche, dérisoire, après chaque point, comment engager une nouvelle phrase, comment poursuivre ce qui devrait être une explication, un racontar, une raison d’être. Je cherche d’autant plus que je crains bien que ce ne soit que le vide qui explique, l’absence, la peur, l’irrespect. Oui, un manque de respect pour le monde extérieur, injustifiable et inadmissible, détestable, odieux, mais ne me dois-je pas un peu de rudesse ? Un manque de respect pour qui attend patiemment que l’écriture me revienne et dont je fais mine de ne me point soucier.