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LES ANACHRONIQUES
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16 janvier 2018

132 - Seizième jour : Thé à la menthe

#1/3 . Descendre, dit-elle

Descendance et patrimoine, nature contre volonté, fidélité contre foi, foi sans fidélité, commune reconnaissance de l’autre, comme autre et comme nécessité, des alter ego en quelque sorte, ce mot latin a-t-il au moins un pluriel ?

La voici, la folle illusion dont tout découle : je suis éternel parce que mon enfant est moi, stupide projection, stupide incarnation, stupide désir ; je me crois éternel alors que pèse sur cet enfant, que nul n’a le pouvoir ni même le droit de lui imposer, cette chape de plomb : porter l’éternité du père. Il faudra que l’enfant le veuille sans que personne ne le lui demande, il faudra que ce soit pour lui une liberté, un envol ; nul ne doit lui en tenir rigueur s’il m’a oublié avant même que je meure. Je dois être capable d’endurer cet oubli. Sinon, comment pourrait-il vivre et, par sa vie, m’obtenir l’éternité revendiquée.

En serais-je capable ?

Il est si tentant d’imposer sa règle. Toi la femme tu porteras le voile, et par la même occasion les paquets. Moi l’homme, j’ai besoin de mes mains pour montrer l’horizon d’un air savant. Toi, l’enfant, tu me porteras moi le vieux, et quand par ta faute je serai mort, tu resteras près de mon corps à chanter mes louanges. Mes pairs veilleront à cela.

Il est si facile de se barricader ainsi contre la poussière. Quarante milliards d’hommes, disent les spécialistes, et personne encore pour comprendre que l’éternité n’est pas ce rendez-vous là, que ces danses de pouvoir ne sont que danses macabres. A ce petit jeu, c’est la mort qui gagne. La femme reste muette et l’enfant ne vit pas. Et s’il ne vit pas, qui pourra chanter mes louanges ?

#2/3 . Le mal aux pieds

Il est temps de parler d’adoption. Je croule sous les fiches : moi, Théolone le Moine, du haut de ma retraite, je rêve que l’homme est grand. Je veux dire ici l’homme comme on dit la mésange ou la panthère, ni mâle ni femelle mais l’homme qui fit Dieu à son image. Car l’homme, tout masculin qu’il soit, n’est pas plus mâle que femelle d’être homme, tout comme la panthère n’est pas plus femelle que mâle d’être féminine.

C’est juste une affaire de probabilité binaire et salutaire. Seront perdus les peuples qui tricheront avec cette probabilité, en tuant les hommes sous prétexte qu’ils sont soldats, en tuant les femmes sous prétexte qu’elles sont femmes.

Je rêve que l’homme est grand. Il n’est jamais si grand qu’en brandissant sa volonté, individuelle ou collective, contre ce monstre tentaculaire qu’on appelle l’ordre des choses. Les sourcils se froncent déjà à me lire. Ceux qui attendaient que coule de source la mélodie gracieuse du thème, la voient se déhancher, se désarticuler, se caricaturer ; l’accord parfait du début tourne à l’aigre, le sucré devient salé, le lait caille.

Froncez, sourcils. Comment aurait-on le fromage si le lait ne tournait, que serait l’océan sans le sel, et le gigolo du début ne serait qu’un tube. L’homme n’a que faire de la nature et de son ordre, de ses ordres, de ses désordres. Laissez la faire, et vous la verrez vite se dresser contre sa créature et la broyer comme un vulgaire et fragile dinosaure.

Mon imprudence aventureuse m’oblige à vous parler de la nature et de l’homme, l’homme sans genre, avant de vous parler adoption, mon idée de départ. Une petite fourche d’écologie de chambre s’impose, puisque j’en viendrai à la question de la volonté humaine comme seule chance de survie. L’homme est nu, faible, myope et sourd ; il ne dispose que d’une seule arme pour résister au monde hostile qui l’environne, cette sainte nature que l’on proclame verdoyante, cette bonne nature et son oxygène vivifiant. Mère nature, je te vois venir, tu n’attends que la première occasion pour nous étouffer et nous brûler les os avec ton oxygène.

Cette arme unique aurait été localisée à l’intérieur du crâne. Je ne suis pas allé voir moi-même, mais je crois volontiers ce qu’on m’a dit à ce sujet : je ne suis bon à rien quand j’ai mal à la tête. Pourtant j’ai aussi quelques difficultés à penser lorsque j’ai très mal aux pieds. Il se pourrait bien que l’on pensât avec son corps entier, et ceux qui viendront me contredire ont peut-être déjà mal aux pieds. Appelons donc cerveau le lieu de nos pensées, à titre provisoire. C’est lui l’arme fatale.

#3/3 . Le goût du thé

Revenons au thème, Just a gigolo. Il a été mis à toutes les sauces, sucrées et salées, et l’auteur de la chanson n’avait pas imaginé que sa ritournelle allait résister à tous les traitements, les plus académiques et les plus sauvages. J’ai planté là mon discours sur la femme et sur l’adoption juste comme il commençait à m’intéresser, pour dériver dans un éloge du cerveau et une invective à la nature, sortes de cheveux sur une soupe même pas encore cuite. J’y reviendrai, aux éloges et aux invectives, à la femme aussi d’ailleurs, ils ne perdent rien pour attendre, mais le thème, la jolie chanson américaine, continue de faire entendre sa mélodie sous les cafouillages, les silences, les oublis, il est le standard, le tremplin, la planche de salut. Mon gigolo juste s’appelle ici Adoption comme expression de l’humaine volonté, comme point culminant du refus de l’ordre des choses.

Il y a des descendances qui coulent de source. L’homme a enfermé la femme devenue pubère, il a triomphalement montré le linge taché de sang, et par un effort digne des héros de l’antiquité, il a placé ses gènes dans son plaisir. Il a poussé le cri de victoire, il a employé les mots de pureté et de certitude. Il peut maintenant dormir tranquille le restant de ses jours en buvant son thé ou son whisky, selon sa culture et l’endroit où il se trouve. Il a échappé à la malédiction. Cet homme est un con.

Même dans ces pays où la vie se passe comme je viens de raconter, ces pays-là existent hélas et dans les autres pays on y met un peu plus de forme mais guère, c’est à la naissance de l’enfant puis de ses sœurs et de ses frères, que commence la vie du père, celle qui mérite d’être vécue, celle pour laquelle il a vécu, c’est seulement à ce moment-là, pas une minute plus tôt. Réveille-toi, homme qui dort sur tes certitudes ! Quand bien même ta femme aurait été cloîtrée toute sa vie, quand bien même tu aurais été le premier et le seul, quand bien même tu pourrais jurer de tout cela, ton travail ne commence qu’au jour de la naissance de tes enfants. Ta femme est embarquée depuis longtemps dans cette aventure, depuis beaucoup plus de neuf mois, depuis le jour où le premier filet de sang a coulé le long de sa cuisse effrayée.

Mais toi, qu’as-tu fait ce temps-là ? Tu as été le surveillant de la grille et le gardien des cadenas. Maintenant, tu vas devoir adopter ces enfants, les faire tiens. Comment dis-tu, ils sont à toi, ces enfants ? De quel droit, de quel Dieu les tiendrais-tu ? Seraient-ce les cadenas, les grilles et les certitudes qui te rendent ainsi propriétaire ? Tu dérailles, mon pauvre homme, personne n’est propriétaire des enfants qui sont nés, et leur mère le sait. A toi de l’apprendre, maintenant. A toi de les vouloir, de le vouloir, et de devenir leur père par un long combat protecteur, contre eux, contre toi, contre la nature, la verte nature. Si tu as de la chance, à leur tour, dans très longtemps, ils t’adopteront et ta vie n’aura pas été vécue pour rien. Sinon, ils t’oublieront sans que tu aies démérité et ta vie deviendra ce boulet dont personne ne veut.

Si tu oublies cette loi, si tu bois ton thé à la menthe assis sur ta certitude initiale, tu ne seras rien ; un matin tu te réveilleras et tu découvriras que tu es mort ; ton discours de la supériorité de l’homme sur la femme aura pris comme le thé que tu bois un drôle de goût.

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